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  • Français? La nation en débat entre colonies et métropole, XVIe-XIXe siècle ed. by Cécile Vidal
  • Damien Deschamps
Cécile VIDAL (dir.).– Français? La nation en débat entre colonies et métropole, XVIe-XIXe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 2014, 272 pages.

Français? ambitionne de questionner la «francité», terme à entendre à la façon dont les Anglo-Américains utilisent le vocable de Frenchness ou d’autres semblables, et qu’on pourrait aussi traduire par «l’être français». Les différentes contributions s’attachent à déconstruire et à analyser, dans leurs synergies comme dans leurs tensions, les différentes dimensions, juridique, politique, sociale, culturelle et économique, impliquées dans le processus de production de «l’identité française». Français? participe d’une veine déjà riche de travaux portant sur la nation et la définition du national, sur la citoyenneté et ses limites, travaux qui, par-delà leur grande diversité, en termes de terrains comme de méthodologie, ont en commun d’interroger les processus de production de l’identité à partir de leurs «marges». Qu’ils s’intéressent à l’état juridique et politique des femmes, des immigrés, des colonisés, au devenir social et politique des hommes de couleur libres ou des esclaves affranchis, ils visent à mettre à nu le caractère éminemment politique de catégories qui voudraient se donner pour l’expression de l’évidence, qu’elle soit celle d’une nature essentialisée (le sexe, la race) ou d’une différence culturelle réifiée (les étrangers), et montrer à rebours comment le sens de ces termes et leurs registres d’usage participent toujours de processus d’assignation et de fixation des identités marqués par une irréductible conflictualité. [End Page 186]

La première leçon que délivrent les différentes contributions de cet ouvrage est de montrer combien la définition de l’«être Français» n’a cessé d’être un objet de luttes et d’investissements de toutes sortes, dont il n’est possible de distinguer les enjeux et d’analyser les stratégies qu’en les situant chaque fois dans leur contexte, économique, politique, social et culturel. Si le pouvoir colonial et ses représentants jouent en la matière un rôle décisif, ils doivent en permanence composer avec les possibilités et les contraintes locales. Ainsi, les contributions de Thomas Wein et de Gilles Havard, qui portent toutes les deux sur la Nouvelle-France, la première scrutant la manière dont les administrateurs royaux se représentent les «François Canadiens» (p. 55-75), la seconde analysant les politiques d’assimilation des Indiens et leur remise en cause (p. 105-123), sont à cet égard éclairantes. Elles montrent comment les élaborations grandioses des bureaux versaillais qui aspirent à promouvoir en Nouvelle-France un modèle de société rationnellement administrée et rigoureusement contrôlée, sont confrontées à l’expérience d’un monde caractérisé par la permanence et le dynamisme des cultures amérindiennes. Les autorités coloniales se prennent un temps à redouter qu’avec le temps, sous l’effet du climat, sinon des croisements de sang, les colons français se fassent Indiens plutôt que l’inverse.

Deuxième enseignement de l’ouvrage, que signale Frederick Cooper dans la postface, les conditions politiques et juridiques qui définissent l’état de Français dans l’empire atlantique sont marquées par une irréductible variété, source de tensions récurrentes, qui traversent chacune des sociétés locales aussi bien que l’ensemble de cet archipel colonial composite, mais dont les différents territoires, parmi lesquels il faut inclure la métropole, sont tous connectés les uns aux autres et obéissent au même souverain. Multiple et un, l’empire colonial français – multiple et une, par conséquent, la question de la francité. Et cela d’autant plus que l’Autre auquel on se confronte et par rapport à quoi les différents acteurs engagés dans un processus de production de l’être français se positionnent, est aussi potentiellement...

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