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  • Jean-Jacques Rousseau et l’exigence d’authenticité: une question pour notre temps ed. by Jean-François Perrin et Yves Citton
  • Jean-Damien Mazaré
Jean-Jacques Rousseau et l’exigence d’authenticité: une question pour notre temps. Sous la direction de Jean-François Perrin et Yves Citton. (Le dix-huitième siècle, 8.) Paris: Classiques Garnier, 2014. 474 pp.

Rousseau s’est détaché d’un modèle humaniste de l’authenticité, défini comme ‘cohérence morale convergeant avec la normativité universelle de la nature’ (Barbara Carnevali, p. 29). Il a en outre, selon Martin Rueff, limité le champ de la vérité à une intellection singularisante (et non plus à un rapport métaphysique au Tout), si bien que le rapport entretenu par le sujet à la vérité est celui d’une impulsion sensible, d’un désir à être cohérent, non avec une norme absolue, mais avec un ensemble de représentations, historiques et sociales. C’est pourquoi ‘la question centrale que pose l’exigence d’authenticité est celle de la convenance de mes pratiques avec le tissu relationnel dont se trame ma singularisation’, écrit Yves Citton (p. 424). Benoît Caudoux insiste sur cette ‘conscience de l’historicité des représentations, de la raison et de la communication’ (p. 131): conscience d’un dialogisme, car c’est l’Autre qui pourra me reconnaître dans ce que je dis, parce qu’y résonne ce qui le touche. L’authenticité n’est donc ni l’originel, ni le vrai, mais l’exigence d’une coïncidence entre trois registres: l’actualité d’une immanence (le registre du réel), l’image que renvoie le sujet et qui circule parmi la société (le registre de l’imaginaire), et les mots de la tribu qui lui préexistent (le registre du symbolique). Déchirure tragique? Recherche insensée? Non, dira-t-on en lisant Paul Audi, pour qui demeure ce sentiment intérieur, cette affectivité proprement humaine qui fonde la subjectivité moderne; non plus pour Citton, pour qui la spontanéité de l’attention ouvre la voie à une éthique du care; non plus pour Dominique Hölzle, car Rousseau, en critiquant la théâtralité de la société galante, propose un nouveau type de spectacle où le sujet est à la fois spectateur et acteur; non plus pour Amélie Tissoires ni Michael O’Dea, qui font de la musique, imitatrice d’émotions, le nœud de ce tissu relationnel qui garantit l’authenticité. En revanche, d’autres contributions creusent un certain vertige de l’authenticité, comme celle de [End Page 529] Jacques Berchtold, qui étudie les limites du portrait flatteur du père de Jean-Jacques par les rapprochements avec les sévères Brutus ou Manlius, ou celle de Claude Habib, qui se demande si les contradictions que Rousseau n’a pas cherché à gommer de son style ou son système, ne manifestent pas davantage une ‘hyperformulation’ (qui appartient déjà à la construction d’une figure) qu’une authenticité spontanée — cette interrogation rejoignant celle d’Antoine Lilti pour qui la célébrité, dans une opinion publique en train de se constituer, jette de facto, pour Rousseau, un doute sur la sincérité, ou celle de Yannick Séité qui déconstruit la dénonciation du persiflage chez Rousseau en montrant qu’elle s’énonce déjà par les moyens du persiflage. Il revient à Laurence Mall de formuler ainsi (rappelant la formule de Jean Starobinski: ‘la loi de l’authenticité n’interdit rien, mais n’est jamais satisfaite’) la poursuite de cette exigence: ‘l’authenticité est un mouvement critique (discriminant) et jamais achevé vers la compréhension de soi dans le monde, accompli dans une écriture aussi absolument fidèle que possible, non pas à un “moi” essentialisé mais à son projet’ (p. 334).

Jean-Damien Mazaré
Université de Paris-Sorbonne
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