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Reviewed by:
  • Jean, Jules, Prosper et les autres. Les socialistes indépendants en France à la fin du XIXe siècle by Sylvie Rémy
  • Emmanuel Jousse
Sylvie RÉMY.– Jean, Jules, Prosper et les autres. Les socialistes indépendants en France à la fin du XIXe siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, 346 pages. « Histoire et civilisations ».

Une galerie d’illustres porte toujours, en creux, un type idéal qui lui donne sa cohérence. Les douze Césars de Suétone déclinaient ainsi les vices et les vertus du pouvoir, édifiaient la statue de Trajan comme l’apothéose du principat. D’une certaine façon, la scène socialiste de la fin du XIXe siècle se déploie de façon identique, où chaque figure s’ordonnerait autour d’un modèle révolutionnaire idéal, dont la vertu principale serait la fidélité. L’ancêtre de 1848 montre la fidélité à l’héritage révolutionnaire. Les traits émaciés du puritain marxiste démontrent la fidélité aux principes théoriques. Les yeux révulsés de l’anarchiste rappellent la fidélité à la pureté des idées socialistes. Sur cette scène, l’exemplarité est essentielle : en offrant la perspective d’un monde meilleur, les socialistes acceptent difficilement les entorses aux principes qu’il faut, au contraire, incarner pour mieux les identifier puis les défendre. Malgré leur réalité, l’agencement de ces figures résulte d’une mémoire partisane qui distingue soigneusement ce qu’elle dit de ce qu’elle tait.

De sorte qu’entre les coups de projecteur, le spectateur devine des ombres effacées que l’on voit peu et dont on parle moins encore : ceux qui ont trahi, ceux qui ont préféré l’ambition présente à l’exemplarité historique. C’est dire à quel point ces silhouettes sont mal connues, et la damnatio memoriæ dont ils font l’objet n’a rien d’une figure de style : comme l’écrivait Reinhart Koselleck, ces catégories définissent des rôles distribués par les vainqueurs, ceux qui ont fait l’histoire et, mieux, l’ont écrite15. Dans l’histoire du socialisme français, ce sont les communistes qui ont entonné le péan et ce sont eux qui ont organisé la scène : ils ont cherché des ancêtres, ont oublié des ennemis. Du coup, les historiens ont examiné quelques-unes de ces figures, surtout celles des guesdistes depuis l’étude magistrale de Claude Willard16. On peut même dire que les grands renouvellements historiographiques ont surtout pris appui sur ces groupes, tout en laissant dans l’ombre Jean, Jules, Prosper et les autres, ces indépendants que tous condamnent mais que peu connaissent17. Par ce fait seul, l’ouvrage de Sylvie Rémy, version remaniée d’une thèse soutenue voici dix ans18, fait date : il ouvre des perspectives, déblaie un terrain, pose des questions.

Parce que le sujet, en réalité, n’a rien d’évident. Pour expliquer les divisions du socialisme français avant l’Affaire Dreyfus, vient presque immanquablement le réflexe d’énumérer les cinq branches d’un arbre généalogique : le Parti ouvrier français de Jules Guesde et la Fédération des travailleurs socialistes de France de Paul Brousse qui se séparent en 1882 ; le Comité révolutionnaire central d’Édouard Vaillant et le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire de Jean Allemane qui font respectivement scission en 1881 puis 1890. Comme il s’agit d’organisations partisanes avec congrès et militants, l’étude monographique ne pose que la question de l’archive, rarement celle de la définition, dont les fondements sont établis par les contemporains euxmêmes. C’est une autre affaire avec la cinquième branche, celle des indépendants, qui [End Page 171] serait à l’histoire du socialisme français ce qu’est le troisième groupe à la conjugaison française : une catégorie fourre-tout. On y classe Benoît Malon, qui refuse Brousse et Guesde, avec Millerand qui tourne casaque après son ministère en...

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