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Reviewed by:
  • Étienne Cabet ou le temps de l’utopie by François Fourn
  • Vincent Robert
François FOURN.– Étienne Cabet ou le temps de l’utopie, Paris, Vendémiaire, 2014, 348 pages.

Convenons tout d’abord, avec François Fourn, qu’Étienne Cabet (1788-1856) est le plus oublié, le plus méconnu des précurseurs français du socialisme, alors que ce ne fut pas le moins important (la campagne de haine dont lui et ses partisans furent l’objet sous la Deuxième République suffirait à l’attester). Depuis Sébastien [End Page 162] Charléty et Hubert Bourgin, quantité d’ouvrages, souvent excellents et encore disponibles, ont traité ou traitent de Saint-Simon et des saint-simoniens, de Fourier, de Considerant et des fouriéristes ; des colloques leur sont consacrés, des sociétés savantes animent la recherche, et même Pierre Leroux n’est pas négligé. En revanche, sur Cabet et ses disciples, un siècle après l’étude pionnière de Jules Prudhommeaux (1907), la bibliographie est restée incomparablement plus sommaire, tout au moins en langue française ; et un tel désintérêt pose bien des questions.

Il faut donc saluer la parution de cette biographie très claire, très vivante et, par là même, pour la première fois accessible à un large public. Elle est l’œuvre du meilleur spécialiste français de Cabet, qui lui a consacré sa thèse il y a bientôt vingt ans, et elle comporte, à défaut d’une bibliographie exhaustive, une utile mise au point sur les papiers et manuscrits de Cabet : on espère évidemment qu’elle suscitera de nouvelles recherches. Au fil des onze chapitres se déroule la vie de ce fils de tonnelier dijonnais devenu avocat, « patriote » au moment des Cent-Jours, puis libéral, et carbonaro sous la deuxième Restauration ; après la révolution de 1830, brièvement procureur général en Corse puis député converti à la République, il est forcé par le régime de Juillet à quitter la France en 1834. Les cinq années d’exil londonien marquent une rupture : c’est alors qu’il écrit le Voyage en Icarie, son œuvre la plus célèbre et que, sans pour autant devenir révolutionnaire, il se déclare communiste. Isolé à son retour en France, il fonde pour diffuser ses idées le Populaire de 1841, journal à bon marché qui connaît un grand succès, et il parvient en quelques années à grouper autour de lui des milliers, si ce n’est des dizaines de milliers de fidèles. Réussite inquiétante, pour lui comme pour les autorités : celles-ci ne peuvent tolérer ce développement d’une doctrine jugée anti-sociale et entendent se servir du spectre du communisme pour consolider le gouvernement de Guizot, d’où les persécutions, voire les poursuites dirigées contre un mouvement pourtant profondément pacifique. Mais lui, qui voit les tensions sociales monter irrésistiblement dans la crise économique de 1846-1847, peine à garder le contrôle de l’ensemble d’un mouvement qu’il entend diriger en patriarche absolu. Aussi lance-t-il au printemps 1847 son célèbre appel à partir fonder en Amérique la société parfaite dont il a tracé le modèle, l’Icarie. À partir de là, les préparatifs de la grande émigration accaparent Cabet et ses proches collaborateurs : remarquablement absents de la campagne des banquets et totalement pris au dépourvu par la révolution de février, ils ne semblent pas avoir non plus bien pris conscience de la distance qui s’est creusée entre ceux des fidèles qui étaient en mesure de verser la somme de 600 francs exigée et les autres. À partir du printemps 1848 donc, Cabet est en permanence confronté à un dilemme : faut-il privilégier la France, comme tout son passé l’y pousse? Il dispose au départ d’un vrai capital de popularité (moindre qu’il ne le pense toutefois, à preuve ses échecs répétés à la députation) et, après les...

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