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  • Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux by Jean-François Gaspar
  • Bertrand Ravon
Jean-François GASPAR.– Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux, Paris, La Découverte, 2012, 304 pages. Postface de Gérard Mauger.

Le travail social est une activité professionnelle des plus éprouvantes. Les atteintes à l’exercice du métier sont en effet à la fois plus nombreuses et plus intenses. Les travailleurs sociaux doivent déjà tenir la relation d’aide dans des contextes particulièrement difficiles : comment supporter la souffrance de personnes en situation de précarité, de handicap ou de grande détresse? Comment répondre à des demandes de logement, de travail ou de formation alors que de telles ressources sont de plus en plus difficiles à mobiliser? Comment faire face à la répétition des situations d’accompagnement de personnes réputées « inguérissables »? Mais les travailleurs sociaux doivent également tenir dans des contraintes organisationnelles ou institutionnelles de plus en plus contradictoires : l’empilement des dispositifs multiplie le risque de contradiction des actions menées, l’objectif de réduction des coûts se marie mal avec l’augmentation du nombre d’usagers, l’exigence d’adaptation à des situations singulières est impossible à évaluer avec des critères standards, etc.

C’est sur ce fond de désenchantement et de crise de la professionnalité des travailleurs sociaux que l’ouvrage de Jean-François Gaspar prend tout son sens : il s’agit en effet de comprendre comment et malgré tout les professionnels de l’intervention sociale se maintiennent dans leurs activités. Mais qui sont donc les travailleurs sociaux? D’où viennent-ils? Où puisent-ils leurs raisons d’agir? En un mot : quelles sont leurs « raisons d’être »? Dans une veine comparable aux ouvrages fondateurs de Jeannine Verdès-Leroux (Le travail social, 1978) et de Francine Muel-Dreyfus (Le métier d’éducateur, 1983), tous deux publiés dans la collection « Le sens commun » dirigée par Pierre Bourdieu aux Éditions de Minuit, la perspective générale de l’ouvrage est centrée sur l’économie symbolique des travailleurs sociaux, au sens des différentes formes que peut prendre « le sentiment de compter pour les autres » (Bourdieu, cité p. 11). L’enquête, réalisée à partir d’observations et d’entretiens approfondis menés auprès de treize travailleurs sociaux de Wallonie représentatifs du secteur, s’attarde donc sur les conduites des professionnels : pratiques concrètes, positions occupées, dispositions, relations aux usagers, aux bénévoles et aux supérieurs hiérarchiques, rapport au champ politique, etc. La comparaison des cas singuliers permet de dresser pour chacun d’entre eux une « formule générique de [l’]ethos [des travailleurs sociaux], de leurs dispositions ‘naturellement’ vécues car incorporées, qui organisent leur appréhension du monde et, en particulier, leur existence professionnelle » (p. 272). Une typologie se dégage, qui distingue « trois pôles » :

Le premier pôle rassemble « les travailleurs sociaux cliniques ». Leur activité est centrée sur l’écoute compassionnelle de la souffrance sociale. On trouve également dans cet ensemble les tenants de la supervision (ou groupes d’analyse de la pratique), outil analysé ici de manière critique comme dispositif [« laïcisé »] « d’introspection » et de « confession » (p. 70 et 75). L’engagement clinique est alimenté par les demandes sous-jacentes aux demandes matérielles d’intervention sociale. Il repose sur un savoir psy qui tend à « euphémiser » la domination en dissimulant les relations asymétriques aidants/aidés par une attention soutenue portée aux rapports « d’égal à égal » avec les usagers et une mobilisation tous azimuts des ressources personnelles. [End Page 153]

À l’inverse de ce travail fondé sur la parole comme acte de réparation, on trouve « les travailleurs sociaux militants », qui tentent, bien que le combat semble perdu d’avance, de redonner aux usagers un certain pouvoir d’agir, en les aidant à accéder à différents supports (juridiques, matériels, symboliques, pédagogiques) nécessaires à la conduite d’une vie sociale digne. Orientés par leur espoir d’un changement politique, ils mènent un double travail de persuasion, auprès des bénéficiaires...

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