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  • De l’infini des bibliothèques au livre unique: l’archive épurée au xviiie siècle by Lucien Nouis
  • Nathalie Ferrand
De l’infini des bibliothèques au livre unique: l’archive épurée au xviiie siècle. Par Lucien Nouis. (Europe des Lumières, 26.) Paris: Classiques Garnier, 2013. 298 pp.

Depuis les travaux de Michel Delon, Georges Benrekassa, Jean-Marie Goulemot, Anne Kupiec et d’autres, on croyait bien connaître le thème des bibliothèques expurgées et du livre unique qui traverse la littérature et la pensée des Lumières, mais ce nouvel ouvrage se saisit de cette question d’une manière originale, riche d’enjeux intellectuels et philosophiques. En étudiant le motif de l’homo unius libri dans la période qui va de l’Encyclopédie à la Révolution, Lucien Nouis se propose de montrer que la préoccupation première des Lumières a été moins d’ajouter aux connaissances anciennes que de les épurer, d’accomplir un effacement sélectif pour faire sa place à l’avenir. Le livre s’ouvre sur une scène de roman où se manifeste la ‘fureur abréviatrice’ (p. 12) d’un personnage face aux livres de sa bibliothèque, et de nombreux romans (L’Île inconnue, La Nouvelle Héloïse, L’An 2440…) [End Page 396] ponctuent le parcours d’une réflexion qui dépasse cependant le cadre de la fiction. L’Encyclopédie est l’un des textes sur lequel le commentaire revient au fil des pages. Les cinq chapitres suivent les étapes suivantes: comment ‘épurer l’archive’; les effets possibles d’un Livre des livres (Encyclopédie); l’imaginaire du livre unique pendant la Révolution; les rapports entre le peuple et l’archive autour de la figure de Mercier (‘qui peut l’épure?’); un chapitre final sur Rousseau et ‘l’épure intérieure’. Cet ouvrage suggestif et séduisant laisse néanmoins le lecteur sur sa faim en raison du flou de certaines notions mises en œuvre: Qu’est-ce qu’une archive (au singulier) au juste? Qu’est-ce qu’une épure? L’auteur n’a pas véritablement défini ces termes, pourtant essentiels et récurrents dans l’ouvrage, ce qui le nimbe d’une approximation compromettant la vigueur du propos, d’autant plus que pour les Lumières, la recherche de la concision est corrélée à l’exigence de précision et d’exactitude. Si le bref avant-propos amorce une définition de l’archive au dix-huitième siècle, celle-ci n’aboutit pas, le terme se trouvant immédiatement métaphorisé et rendu polyvalent. L’auteur cite plusieurs fois les historiens du livre (essentiellement Roger Chartier et Robert Darnton) mais justement pas ceux de l’archive comme Arlette Farge dont Le Goût de l’archive (Paris: Seuil, 1989) aurait rappelé à l’auteur les spécificités irréductibles de l’archive. Quant à l’épure, on se demande parfois le sens que l’auteur donne à ce terme. Il aurait été intéressant de fournir une étude serrée du vocabulaire, depuis le ‘fatras’ que les Lumières veulent ordonner, en passant par les termes divers décrivant le processus de réduction dans les textes de l’époque (‘élagage’, ‘purge’, ‘purification’…), jusqu’à ceux exprimant les résultats obtenus. L’ouvrage s’achève judicieusement sur un chapitre consacré à Rousseau ‘chez qui le principe de solitude vient habiter les méditations sur le livre’ (p. 218), qui comporte de belles analyses, même si l’on regrette de nombreuses absences dans la bibliographie, comme le livre de Yannick Séité sur la pensée du livre chez Rousseau (Du Livre au lire: ‘La Nouvelle Héloïse’, roman des Lumières (Paris: Honoré Champion, 2002)), certains travaux de Jean-François Perrin, ou bien, au sujet de la lecture comme ascèse et des bibliothèques intérieures, les études de Brian Stock.

Nathalie Ferrand
École normale supérieure CNRS
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