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  • Casanova: la mémoire du désir by Cyril Francès
  • Marine Ganofsky
Casanova: la mémoire du désir. Par Cyril Francès. (Europe des Lumières, 29.) Paris: Classiques Garnier, 2014. 681 pp.

Dans ce livre, Cyril Francès s’interroge: ‘De quel savoir est porteuse l’Histoire de ma vie? Qu’est-ce que cette œuvre sait sur le désir, sur le temps et sur leur lien, que nul autre texte ne formule?’ (p. 19). Le titre de l’ouvrage annonce que chez Giacomo Casanova le souvenir et son écriture sont inséparables du corps et de ses fantasmes. Or, inspiré par la pensée matérialiste et devançant Freud ou Michel Foucault, Casanova avait déjà compris que la vérité de tout savoir sur l’homme réside précisément dans cette sensualité. Francès recherche donc cette vérité, ‘les enseignements les plus précieux de l’œuvre’ (p. 649), dans la façon dont Casanova pense et écrit le souvenir d’une vie vécue dans toute sa sensualité. Cette étude sur les rapports entre conscience, sensibilité et imagination que le travail de mémoire met à jour révèle d’abord que Casanova refuse d’être soumis au passage du temps. Écrire la mémoire du désir permet au libertin de tirer ses souvenirs de l’oubli et de les inscrire dans un simulacre d’éternité. Par ailleurs, en soulignant la littéralité des mémoires de Casanova, Francès met en avant le charme des illusions et des apparences qui l’emportent souvent sur le sens et la réalité. Chez Casanova, le souvenir est moins réminiscence ou reviviscence (et encore moins confession rousseauiste) que représentation presque théâtrale du souvenir qui implique certes une forme de distance par rapport au passé, mais qui s’enrichit alors de références mythiques ou littéraires. La mémoire casanovienne, conclut Francès, est ‘faite de chair et de livres’ [End Page 392] (p. 651), et s’il est important de voir Casanova comme un écrivain, c’est surtout pour trouver dans son écriture une démonstration de la puissance du langage qui ouvre un espace de liberté absolue à l’imagination, transforme le réel en littérature, et peut ‘réparer à jamais la déchirure du temps’ (p. 651). Pour mettre à jour et explorer pleinement la richesse du discours casanovien sur le temps, le désir et l’écriture, Francès a recours à ‘un éclectisme de méthodes’ (p. 25). Refusant une approche purement littéraire ou uniquement historiciste, sa méthodologie est complétée par une perspective philosophique inspirée notamment par la critique sur la temporalité des œuvres, la pensée matérialiste ou encore la psychanalyse freudienne. Après une brillante introduction soulignant bien les difficultés mais aussi l’intérêt d’une telle lecture, l’ouvrage se divise en trois grandes parties. La première se concentre sur la façon dont Casanova représente et réinvente le passé. La seconde partie, dédiée à l’énonciation de l’Histoire de ma vie, cherche à comprendre qui est ce ‘je’ qui parle dans les mémoires. Enfin, la troisième partie souligne le rôle et la puissance de l’imaginaire dans la quête d’infini de Casanova. Ce foisonnement de réflexions souligne la complexité du projet entrepris ici par Francès, et reflète admirablement la labilité du désir et de l’écriture chez Casanova, tout en offrant une belle illustration de sa conception du langage comme force et énergie capables de rapprocher de l’infini.

Marine Ganofsky
University of St Andrews
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