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  • Le nombre et la sirène : Un déchiffrage du Coup de dés de Mallarmé by Quentin Meillassoux
  • Clément Layet
Quentin Meillassoux. Le nombre et la sirène : Un déchiffrage du Coup de dés de Mallarmé. Paris : Fayard, 2011. Pp. 257. 19,30 €.

Dans l’histoire de la réception du poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, l’interprétation qu’en propose le philosophe Quentin Meillassoux constitue un véritable événement. Car Le nombre et la sirène relève allègrement le défi de « déchiffrage » lancé par son sous-titre : le lecteur peut non seulement y découvrir le code enfantin qui sous-tend l’ensemble [End Page 167] du poème, mais également méditer le double risque encouru par Mallarmé, que son poème ne soit pas déchiffré et demeure à jamais mécompris, ou au contraire soit déchiffré et ne paraisse qu’un jeu avec les mots.

Pour ne rien déflorer de la brillante démonstration à laquelle se livre Meillassoux, disons seulement que son enquête réussit la gageure de nous maintenir deux fois en haleine : tandis que la première partie révèle, sous le « Nombre qui ne peut pas être un autre » le nouveau mètre offert à la poésie française après l’essoufflement de l’alexandrin, la seconde partie expose, en faisant vaciller la première, que la condition pour que le poème soit accompli est que le code soit en réalité brouillé, « tremblé », comme rendu à son indéterminabilité.

Au-delà de ce poème, c’est alors l’œuvre entière de Mallarmé qui s’éclaire d’une lumière nouvelle : non seulement le sens de sa prétendue obscurité y apparaît encore modifié, mais surtout sa quête en direction du « Livre » ultime ne paraît plus avoir abouti à un échec. En ayant poussé à son comble plutôt que renié sa lucidité de jeunesse, de « chanter en désespéré », Mallarmé aurait en effet redonné au divin une présence. Puisque le Hasard est le « Dieu des modernes », et que Meillassoux, comme il prend plaisir à le souligner, a découvert le code « par hasard », c’est le divin lui-même, et non sa représentation, qui se diffuse à travers la conjonction du poème et de son déchiffrage. Une fois que les partisans du vers libre et ceux du vers régulier se sont déchirés, et alors même que « le Ciel est mort », le Coup de dés met en scène et réussit le pari bouleversant de renvoyer la poésie et le divin vers l’avenir.

Ainsi, qu’on en partage ou non le détail, cette interprétation permet-elle d’articuler une question relative à la pensée de Mallarmé. Mais cette question, que Meillassoux ne pose pas explicitement, pourrait menacer le projet que lui-même poursuit depuis son premier livre, Après la finitude. En affirmant que, ni aucune chose, ni aucune loi, ni aucun état de faits, mais la contingence seule est nécessaire, Meillassoux croit trouver un précurseur dans le poème énonçant qu’un hasard n’abolira jamais le hasard. Cependant, si le poème a finalement le pouvoir de rendre manifeste le divin, à l’image de l’Eucharistie, n’est-il pas le corrélat d’une nécessité irréductible à celle de la contingence ?

Clément Layet
Centre allemand d’histoire de l’art (Paris)
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