Reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions dir. by Philippe Boutry, Pierre Antoine Fabre et Dominique Julia (review)

Cet ouvrage collectif, qui pouvait sembler une curiosité dans l’historiographie française au moment de sa publication, apparaît, avec le recul, comme le signe avant-coureur d’une vague de publications et de rencontres scientifiques autour des reliques de la période moderne. Non que le thème n’ait jamais arrêté l’attention des historiens, mais il restait jusqu’à récemment le domaine réservé des médiévistes, depuis les études pionnières de Peter Brown et de Patrick Geary. Dans sa capacité à durer par-delà les ruptures religieuses et politiques, la relique (ce qui reste : reliquiae) est de fait un « objet presque contradictoire avec la notion de modernité ellemême » (p. 11). Pourquoi un tel attrait actuel des modernistes et des contemporanéistes pour ces objets longtemps relégués en marge de l’analyse, dans la continuité plus ou moins consciente des critiques protestantes et de celles des Lumières? Sans doute parce que cet objet, représentation et signe autant que chose matérielle, bouscule la définition de la modernité. L’histoire des dévotions associées aux reliques résiste à une chronologie univoque, qui permettrait de suivre une progressive désaffection pour les cultes rendus aux corps saints. Tandis que les critiques les plus radicales sont portées à leur encontre au seuil de la première modernité, la ferveur la plus éclatante continue à se manifester jusqu’à notre époque. Ainsi s’expliquent l’acception large qui est retenue de la période moderne dans cet ouvrage, du XVI^e au XXI^e siècle, et le choix mûrement réfléchi d’une présentation alternée des facteurs de continuité (dans les parties II, IV et VI) et des manifestations de rupture (dans les parties I, III et V) : c’est la tension permanente entre « invention, conservation et destruction » (p. 433) qui définit les reliques modernes. L’avant-propos pose ces deux choix avec concision, donnant le ton, précis et clair, d’une véritable réflexion collective, menée au sein du Centre d’anthropologie religieuse euro-péenne de l’EHESS.

Réunissant des cas inscrits dans des contextes variés du monde chrétien, terres de mission comprises, chacune des parties est consacrée à une action imposée aux corps saints: la critique, la thésaurisation par des princes ou des autorités locales, la destruction, la localisation, la dissémination au Nouveau Monde, enfin la présentation aux fidèles.

Les polémiques et les destructions trouvent toute la place attendue dans le livre. Une source majeure de la critique moderne est le Traité des reliques (1543) de Jean Calvin, inventaire corrosif de leur multiplication et critique de la dévotion portée à l’objet inerte, qui est une injure à la Parole vivante (Pierre Antoine Fabre et Mickaël Wilmart). Sous l’aiguillon de ces critiques, l’Église tridentine réaffirme la légitimité du culte des corps saints à partir de l’argument de l’« antique et constante tradition ». Comme le souligne Dominique Julia, la critique catholique est toujours contenue dans de strictes limites, malgré le progrès continu des méthodes savantes. S’employant à limiter la publication des controverses entre catholiques, sans toujours y parvenir, l’Église romaine entend surtout soumettre les corps saints au contrôle de l’évêque du lieu. L’abondance de documentation ne résout d’ailleurs pas le problème lancinant de l’authenticité : les très nombreux écrits composés autour de la Sainte-Épine de Port-Royal ne parviennent ni à circonvenir la guérison miraculeuse advenue en 1656 ni à lever les ambiguïtés sur l’authenticité de l’objet (Alain Cantillon). Les limites d’une critique catholique sont durables. Dans la France de la...