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  • Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700) by Jean-Pascal Gay
  • François Trémolières
Jean-Pascal Gay Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700) Paris, Éd. du Cerf, 2011, 984 p.

Cet ouvrage comporte trois parties (plus de volumineuses annexes, une bibliographie, un index) : la première consacrée au « récit» de la polémique – celle qui opposa, dans la période considérée, les tenants du « rigorisme » et ceux du « laxisme » en morale, pour reprendre les termes dont ils s’accusaient mutuellement –, la deuxième, plus brève, qui s’intéresse aux «logiques d’une controverse doctrinale », la troisième davantage centrée sur un exposé des doctrines, de provenances diverses – jésuites, dominicains, Sorbonne, « théologies de séminaires ». Il va donc s’agir d’articuler récit et doctrines, dans la perspective revendiquée d’une histoire des controverses, où les enjeux de vérité ne sont pas dissociables d’une inscription sociohistorique des discours.

Le récit s’ouvre à rebours par la condamnation du laxisme en 1700, à l’Assemblée générale du clergé de France. Même si cette censure ne s’est pas imposée aussi aisément que l’on tend à le supposer a posteriori, elle sanctionne effectivement ce que Jean-Louis Quantin a diagnostiqué comme un « basculement1 », grosso modo contemporain des Provinciales de Blaise Pascal (1656-1657). Alors que dans le premier tiers du XVIIe siècle « la casuistique indulgente [était] largement reçue et incontestée » (p. 101), c’est l’inverse qui devient vrai dans son dernier tiers, comme en témoignera le succès en sens contraire, un siècle plus tard, du ligorisme. Ce «basculement» doit être nuancé, il s’inscrit dans un ensemble complexe de transitions et de mutations qui affectent la théologie dans son ensemble et, à y regarder de près, le rapport du dogmatique et du social.

Un premier moment (1626-1645) consiste en la construction d’une «théologie morale jésuite », c’est-à-dire de l’équivalence entre la casuistique indulgente et les thèses propres aux théologiens de la Compagnie, dans le cadre plus général de la polémique antijésuite. Les jésuites y répondront en acceptant au fond cette identification, c’est-à-dire en produisant et en revendiquant une défense du probabilisme. Mais le débat change de nature avec l’expulsion d’Antoine Arnauld par la Sorbonne, en 1656, dont il s’agit de donner une lecture politique et non doctrinale, comme le résultat d’une cabale de parti, et d’un parti sans doctrine sur le fond (le laxisme apparaissant comme un opportunisme) : ce sera l’œuvre de Pascal. Arrive alors un deuxième moment (1657-1669), durant lequel les arguments techniques se renouvellent peu et les positions jésuites se fragmentent en stratégies divergentes, de confrontation ou de réfutation. Inversement, le discours antiprobabiliste tend à produire une «culture de groupe », donc à (auto)constituer le jansénisme en parti. Dans un troisième moment (1669-1700), les orientations rigoristes prennent le dessus, surtout en pastorale, elles débordent [End Page 1047] en tout cas l’option janséniste avec Innocent XI et même, côté jésuite, à la toute fin du siècle, avec le généralat antiprobabiliste de Thyrse Gonzalez2.

Ce qui était une technique d’examen des cas devient une doctrine de la diversité des conduites, le probabilisme soutenant qu’il est permis de suivre une opinion, sous certaines conditions et selon certains critères, y compris quand l’opinion opposée est la plus probable. Un point majeur est de juger de la « nou-veauté » d’une telle position, ses tenants la référant à une tradition pour qualifier de novateurs leurs adversaires (donc suspects dans leur orthodoxie), et ceux-ci soutenant l’inverse. L’appel à la tradition est d’ailleurs un argument paradoxal quand il mobilise pour s’opposer à toute nouveauté un type de savoir, historique, qui appartient pourtant à la modernité. Plus fondamentalement, le probabilisme oblige à interroger les limites...

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