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Reviewed by:
  • Les dieux, l’État et l’individu. Réflexions sur la religion civique à Rome by John Scheid
  • Nicole Belayche
John Scheid Les dieux, l’État et l’individu. Réflexions sur la religion civique à Rome Paris, Éd. du Seuil, 2013, 218 p.

Pour l’auteur qui est un maître en matière de religion romaine, cet ouvrage est un « essai ». Le terme est donc à prendre dans son acception anglophone. Il permet aussi de rendre compte d’un style presque oral, d’une liberté de ton, fort direct, et d’une vigueur du propos rafraîchissante dans la rhétorique habituellement plus feutrée des ouvrages scientifiques.

Le sujet porte sur le champ du religieux dans le politique, auquel John Scheid a consacré sa vie de chercheur et d’enseignant, à l’École pratique des hautes études d’abord (1985-2000), puis au Collège de France (depuis 2002). On ne trouve pas dans l’ouvrage d’analyses complètement neuves, mais une réaffirmation, après passage au crible, des thèses que l’auteur a élaborées et exposées depuis 19831 : la religion de la respublica romaine se comprend à la lumière d’un modèle plus global d’analyse du religieux dans les cités antiques, connu depuis une génération sous le nom de polis religion, religion civique/religion de la cité. Ces réflexions, qui reprennent un cycle de cours donné au Collège de France en 2008-20092, sont donc solidement ancrées dans un modèle herméneutique et nourries par une connaissance incomparable, tant philologique qu’épigraphique et historique, du sujet et de sa documentation.

L’« essai » n’est donc pas une pérégrination buissonnière au bord du Tibre, à l’image de celle inspirée à l’auteur par les Questions romaines de Plutarque3. Ces « réflexions » sont très soigneusement tirées des sources. Leur présentation est articulée en sept chapitres. Partant de l’exposé des critiques adressées à la polis religion, ils envisagent successivement la religion civique, avec ses acteurs sociaux et ses bénéficiaires - des sujets qui emplissent l’œuvre de J. Scheid à côté de ses travaux sur les rituels –, pour les confronter ensuite à des questionnements considérés aujourd’hui comme alternatifs : l’individu, les émotions, la croyance.

Outre l’attention accordée aux sources antiques, l’autre dimension qui donne à l’ouvrage son ossature la plus rigoureusement [End Page 1001] démonstrative est son projet réflexif au sens étymologique du terme : un retour critique sur toutes les analyses que l’auteur a menées sur la religion civique depuis plus de trente ans, et au terme duquel il démontre à nouveau leur validité sur la base des fondements scientifiques, c’est-à-dire historiques, de sa méthode. Les témoignages romains soutiennent sa position, selon laquelle les pratiques de la religion civique n’excluent pas l’implication des individus qui composent la société et ne se résument pas à une institution « creuse » de l’élite sociale et politique. Il suffit de lire Tite-Live auquel J. Scheid a consacré son cours en 2012-2013. Même si, à toutes les époques, les documents conservés surreprésentent les tenants du pouvoir et les situations institutionnelles face aux réalités individuelles ou personnelles, les périodes de turbulences - de « crise » - laissent plus facilement affleurer les engagements individuels. L’imbrication entre les particuliers et l’État se manifeste alors de façon visible au plan religieux, sans préjuger d’autres engagements privés ou en privé. Juste après la défaite de Trasimène pendant la deuxième guerre punique (217 av. notre ère), Tite-Live rapporte une supplicatio ordonnée par le prêteur à laquelle participèrent non seulement les citoyens romains assumant leurs devoirs religieux, mais aussi les femmes et les enfants qui n’ont pourtant pas, ou pas encore, de capacité civique, car « le sort de chacun était entièrement lié à celui de l’État » (Tite-Live, 22, 10). Pour les membres politiquement « non actifs » de la respublica, l’implication religieuse s’inscrivait aussi dans le modèle civique, comme en...

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