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  • Les Annales

Des persécutions médiévales à la Shoah, l’antisémitisme semble traverser l’histoire. Dans sa mise en acte sans cesse renouvelée, il paraît un défi au temps et à la raison de l’historien mais aussi de la communauté humaine. Il peut susciter deux choix opposés qui sont aussi des renoncements parallèles, celui d’abolir l’histoire en conférant à cet antisémitisme une essence éternelle et celui de le dissoudre dans une historicisation radicale. Face à cette alternative inacceptable, l’histoire et les sciences sociales ne sont pas tout à fait démunies, comme essaie de le montrer ce dossier. Réunissant trois textes venus d’horizons différents, il ne cherche pas à définir une méthodologie unique ou à proposer une interprétation univoque de l’antisémitisme, mais à prendre au sérieux la question de son historicité et de ses effets. En se donnant l’antisémitisme pour objet historique, il le considère en même temps comme un sujet d’histoire, faisant de cette relation complexe un terrain d’expérimentation pour la conception réflexive des sciences historiques que souhaite porter notre revue.

L’article de Marie Dejoux, qui étudie les enquêtes de réparation des usures juives menées dans le royaume de France sous le règne de Louis IX, s’inscrit ainsi dans les pas de Jacques Le Goff en mettant à distance la notion d’antisémitisme. C’est la politique anti-juive du roi saint qui est caractérisée, non pas pour jouer sur les mots ou les concepts, mais pour restituer la spécificité d’une forme de stigmatisation qui est aussi une pratique gouvernementale et pénitentielle propre au XIIIe siècle, dont la logique est suffisamment significative pour ne pas être écrasée rétrospectivement par les catastrophes contemporaines. Cette même question est au cœur de la réflexion menée par Maurice Kriegel à partir de l’ouvrage récent de David Nirenberg. Antijudaism: The Western Tradition, qui le conduit à une reconsidération complète des rapports entre les notions d’antisémitisme et d’antijudaïsme. M. Kriegel souligne en particulier la difficile nécessité d’articuler la longue durée de la persécution des [End Page 847] juifs au déchaînement de violence culminant dans le meurtre de masse des deux derniers siècles, sans renoncer à l’ambition d’une analyse tout autant sociologique qu’intellectuelle. Le texte de Steve Englund, qui porte sur la naissance du mouvement et du terme antisémite dans l’Allemagne de la fin du XIXe siècle, lui fait écho, en s’interrogeant précisément sur la nature d’une dénomination politique nourrie de religieux mais devenue également une catégorie d’interprétation historique.

D’un texte à l’autre, quelles que soient leurs différences, se retrouve une même volonté, ne pas renoncer à faire l’histoire d’un problème qui met le chercheur face au risque de la circularité méthodologique, entre passé et présent. Il s’agit aussi d’inscrire l’antisémitisme dans un horizon plus large, celui d’une histoire du judaïsme qui ne se réduise pas à lui, qui ait sa force, son intérêt et sa place propres, et qui ne soit pas une enclave historiographique marginale ou encore, à l’inverse, le lieu où se révèlerait le destin de l’Occident. Mais il y a plus. L’antisémitisme ne concerne pas que l’histoire du judaïsme : c’est un phénomène dont l’analyse pose des problèmes d’histoire générale et qu’il faut considérer comme tel. Comme l’écrit M. Kriegel : « L’histoire des Juifs présente l’un des grands drames de l’histoire des hommes; cela suffit pour qu’elle interpelle chacun. Promouvoir l’histoire de leur figure fantasmatique, qui est une dimension de leur histoire globale, comme si elle avait servi de pierre d’angle à la construction de l’’Occident’, c’est installer l’histoire des Juifs dans une position centrale. […] On fait fausse route aussi bien en...

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