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Reviewed by:
  • L’Encre de la mélancolie by Jean Starobinski
  • Ariane Lüthi
Jean Starobinski. L’Encre de la mélancolie. Paris: Seuil, “La Librairie du XXIe Siècle”, 2012. 670 pp.

L’histoire de la bile noire par Jean Starobinski

Avec L’Encre de la mélancolie, ouvrage qui rassemble des études de plus d’un demi-siècle, Jean Starobinski revient sur des questions et motifs liés à ce thème qui fait essentiellement partie de ses recherches médicales et littéraires. Cette étude est accompagnée de deux autres livres récents signés par le critique genevois, à savoir Accuser et séduire: Essais sur Jean-Jacques Rousseau et Diderot, un diable de ramage. Une triade qui fait preuve de l’incroyable énergie de Jean Starobinski, mais aussi de sa fidélité, de son retour réitéré sur certains thèmes et auteurs qui lui sont chers.

Si l’œuvre de Jean Starobinski est en mouvement perpétuel, la lecture des multiples textes de ce livre en donne une excellente idée, formant des variations sur un thème à travers les siècles, et cela sous divers points de vue, dans des contextes changeants. Rien d’étonnant que ce volume s’ouvre sur l’Histoire du traitement de la mélancolie, thèse de 1960 publiée dans son état original, ni modifiée ni augmentée, y compris pour les notes et la bibliographie. Cent quarante pages où l’on passe des “Maîtres antiques” au “poids de la tradition” avant d’arriver à l’époque dite “moderne” en 1900. Le second texte liminaire, “Un éclat sans fin pour mon amour” qui figure en fin de volume, est tout aussi important pour l’ensemble du livre: il s’agit d’une étude sur la mélancolie telle qu’elle prend forme sous la plume de Charles d’Orléans, poète qui invoque souvent la “Merencolie” dans ses poèmes. Paru en 1963 dans la N.R.F., le titre suggestif de cet article a, durant ces 50 dernières années, souvent été interprété, et le voilà ici repris pour l’ensemble: “L’encre de la mélancolie”…

Toutefois, si cet ouvrage—qui propose de “démontrer que la mise en perspective de la mélancolie peut donner lieu à un ‘gai savoir’”—se compose de travaux réunis après leur première publication, il ne s’agit pas simplement d’un recueil d’études, mais d’un véritable livre, d’un ensemble répondant à [End Page 207] un souci de cohérence. Cette invitation au voyage en terres mélancoliques est composée de six chapitres: le premier étant consacré aux aspects de l’histoire du traitement de la mélancolie de l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle, le deuxième aborde l’“anatomie” de la mélancolie par le biais du rire de Démocrite, l’utopie de Robert Burton, les sciences psychologiques à la Renaissance, ou encore le portrait du docteur Gachet par Van Gogh. Le troisième chapitre présente la “leçon de la nostalgie”: morcellement, Heimweh (mal du pays), deuil et oubli; il y est également question de littérature de l’exil en tant que littérature de l’enfance perdue ainsi que de Virgile, Mandelstam ou Bonnefoy. Le quatrième chapitre pose la question du “salut par l’ironie”—des pages indispensables sur l’ironie romantique, acte réfléchi ou “moment du devenir-soi de l’esprit”, mais aussi sur le masque, chez Kierkegaard notamment. Ces pages se situent au centre de cette partie qu’une réflexion sur l’intériorité et le repentir vient arrondir: “La plainte du Journal [de Kierkegaard] nous met en présence d’une parole provisoire, interrogative, en suspens, qui sait ne pas provenir du centre ignoré, mais qui doit tout son mouvement à l’idée de ce qui lui fait défaut. Le je qui s’exprime ici, agile et ingénieux, sait qu’il est tout au plus l’ombre du moi espéré.” Le cinquième chapitre aborde la part faite au rêve et à l’immortalité m...

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