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  • Le livre français et ses lecteurs italiens. De l’achèvement de l’unité à la montée du fascisme by Raphaël Muller
  • Jérémie Dubois
Raphaël Muller
Le livre français et ses lecteurs italiens. De l’achèvement de l’unité à la montée du fascisme
Paris, Armand Colin, 2013, 371 p.

Investi d’une forte dimension symbolique, le livre est un objet d’histoire dont l’étude peut conduire à privilégier les représentations aux réalités. Raphaël Muller a su éviter cet écueil dans cette étude tirée de sa thèse de doctorat sur l’histoire du livre français en Italie de 1880 à 1920. L’intérêt et l’originalité de l’ouvrage tiennent au parti pris de l’auteur de considérer les volumes imprimés comme un « objet commercial » (p. 220) à part entière, au lieu d’adopter principalement le prisme de l’instrument politique ou du vecteur de contenus littéraires.

Pour autant, l’ouvrage ne manque pas de se situer par rapport aux grandes questions qui dominent la période : R. Muller s’attache à démontrer l’existence d’une certaine autonomie de l’économie du livre vis-à-vis des relations diplomatiques et politiques entre la France et l’Italie, du moins pour la période qui précède la Première Guerre mondiale. Il infirme ainsi la thèse classique selon laquelle la culture française aurait eu tendance à reculer en Italie au tournant des XIXe et XXe siècles, au profit de la culture allemande. Il propose d’adopter « une vision éclatée des champs du savoir » (p. 165) en considérant que, dans l’espace scientifique et littéraire italien, la France et l’Allemagne exercent plutôt des dominations sectorielles simultanées que des hégémonies successives. [End Page 835] Les politiques d’acquisition des bibliothèques italiennes privilégiaient ainsi des ouvrages venus d’Allemagne pour la philologie et la philosophie, tandis que pour les livres d’histoire, de littérature, de droit ou de médecine, les livres français ont eu durablement l’avantage. La continuité tend donc à l’emporter sur les inflexions, jusqu’à ce que la Grande Guerre institue une nouvelle hiérarchie des valeurs qui conduisit, en Italie, à privilégier encore plus nettement le livre français dans une optique de propagande de guerre mais aussi dans des logiques commerciales.

L’auteur mobilise une ample bibliographie italienne et française pour dresser un tableau d’ensemble des rapports entre la population transalpine et la lecture, notant au passage qu’il convient de distinguer recul de l’analphabétisme et pratique effective et régulière de la lecture. Si de « nouveaux lecteurs » (p. 47) émergent à la faveur de l’urbanisation et de la diffusion de l’instruction, leur rapport aux imprimés passe d’abord par la presse. Cependant, l’univers des publications périodiques et celui du livre sont souvent imbriqués, comme le montrent les analyses consacrées au journal Il Secolo, détenu par l’éditeur milanais Edoardo Sonzogno. Le réseau de diffusion du quotidien sert de support pour la vente des ouvrages de la maison d’édition. L’auteur souligne également que le français est la langue étrangère la plus diffusée et la mieux connue dans l’Italie libérale. Cet idiome sert aussi de voie d’accès aux publications allemandes ou russes non traduites en italien.

Après ce chapitre liminaire, R. Muller explicite sa démarche et les directions qu’il a choisies pour repérer et suivre le livre français en Italie (chap. 2). Il ne sépare pas la dimension intellectuelle de ces transferts culturels des conditions matérielles dans lesquelles leur importation s’opère. R. Muller recourt à des modèles d’interprétation qualitatifs, comme lorsqu’il applique la notion d’intertextualité à l’étude de textes littéraires italiens, tout en s’attachant à quantifier le volume des ouvrages français ayant traversé les Alpes. Il mobilise les registres douaniers, non sans souligner les limites et les imperfections de ces données sérielles...

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