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Reviewed by:
  • Paolina’s Innocence: Child Abuse in Casanova’s Venice by Larry Wolff
  • Claire Judde de Larivière
Larry Wolff
Paolina’s Innocence: Child Abuse in Casanova’s Venice
Stanford, Stanford University Press, 2012, X-315 p.

En 1785, la cour de justice vénitienne des Esecutori contro la Bestemmia (Exécuteurs contre le blasphème) enquêta sur les agissements de Gaetano Franceschini, un riche habitant de Venise d’origine vicentine, dénoncé par le prêtre de la paroisse de Sant’Angelo. Franceschini avait abusé de Paolina Lozaro, une enfant de huit ans appartenant à l’une des nombreuses familles de Frioul ayant immigré à Venise. Il l’avait fait venir chez lui au prétexte de l’embaucher comme domestique, puis l’avait obligée à passer la nuit avec lui.

L’enquête et le procès menés par les magistrats servent de fil directeur à la propre enquête de Larry Wolff, dont le premier objectif est d’étudier l’histoire des abus sexuels sur les enfants. Pour aborder cette question difficile, et un objet complexe à circonscrire, l’auteur met l’affaire en perspective avec plusieurs enjeux essentiels de l’histoire du XVIIIe siècle. Ainsi articule-t-il l’histoire de l’enfance et de la place [End Page 811] des enfants dans les sociétés européennes modernes avec celle de la sexualité à l’époque du libertinage, tout en considérant la question de la public sphere au siècle des Lumières. Son livre constitue également une étude efficace de la société vénitienne dans les dernières décennies de la République, des réseaux d’habitants, des relations sociales entre les domestiques et leurs maîtres, entre les hommes et les femmes, entre les adultes et les enfants, entre les migrants et les natifs de Venise. Le quartier de Sant’Angelo, au sud de Rialto, devient le théâtre de cette étude fine et vivante, menée au sein du microcosme social que constituait le voisinage.

La source principale de L. Wolff est le long procès des Esecutori contro la Bestemmia, un dossier de 300 pages, « très probablement, l’enquête la plus détaillée jamais effectuée et enregistrée dans le monde d’Ancien Régime sur les mauvais traitements infligés aux enfants » (p. 2). Le document se révèle d’une grande richesse, les nombreux témoins n’étant pas avares de détails, de jugements et de justifications, qui donnent à voir leurs conceptions de l’intime et des relations de domination à la fin de l’époque moderne. L. Wolff choisit également d’utiliser quelques grands textes littéraires du XVIIIe siècle, dans un va-et-vient constant entre le procès et la littérature. Pour éclairantes que ces mises en perspective puissent apparaître, elles manquent néanmoins d’une explicitation, et l’on peut regretter que les présupposés méthodologiques d’une telle démarche ne soient pas formellement énoncés.

Organisant son propos en quatre parties, l’auteur construit progressivement les termes de l’enquête. Dans un premier temps, il revient sur le procès, la procédure et le tribunal de la Bestemmia. La dénonciation du prêtre et les premiers témoignages révèlent les détails sordides de l’affaire. C’est en particulier le cas du récit de la jeune Paolina, ainsi que ceux de sa mère et de la gouvernante de Franceschini à qui il revint de préparer l’enfant. Mais ainsi que le rappelle L. Wolff, Casanova lui-même, comme le personnage de Don Giovanni dans le livret de Lorenzo Da Ponte, se vantaient à l’époque de prendre leur virginité à de très jeunes filles, sans se préoccuper de leur âge ou des conséquences de leur acte.

La deuxième partie du livre permet d’entendre les nombreux autres témoignages rassemblés par les magistrats vénitiens, en particulier ceux du cafetier et de sa femme qui tenaient boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble habité par Franceschini. S’appuyant sur les thèses classiques...

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