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Reviewed by:
  • Conquérir et gouverner la Sicile islamique aux XIe et XIIe siècles by Annliese Nef
  • Cyrille Aillet
Annliese Nef
Conquérir et gouverner la Sicile islamique aux XIe et XIIe siècles
Rome, École française de Rome, 2011, XIII-829 p.

Il existe une production abondante, et souvent de qualité, sur la Sicile des Hauteville. L’ouvrage d’Annliese Nef n’en représente pas moins un apport décisif, tant par la somme d’érudition critique qu’il réunit que par le foisonnement des pistes déployées. Ce volume vient couronner une thèse de doctorat déjà ancienne, mais considérablement enrichie. Il résulte de cette maturation un choix fermement assumé : tourner le dos à une histoire des identités, qui attirait jusque-là l’attention des spécialistes d’une Sicile érigée, comme al-Andalus, en paradigme de la convivencia. A. Nef préfère se concentrer sur la sphère du pouvoir, car les sources disponibles nous y ramènent inévitablement, constate-t-elle, et l’originalité de l’épisode des Normands de Sicile tient précisément dans la construction d’une « souveraineté œcuménique » qui entrelace savamment langues et registres culturels (arabité, hellénisme et latinité). Cette interaction culturelle doit beaucoup aux combinaisons politiques qui ont permis aux nouveaux venus d’assurer leur contrôle sur les diverses composantes de la population et de tirer parti de la géographie sociale complexe de l’île.

On peut regretter que l’introduction, qui expose par ailleurs clairement les enjeux de l’historiographie sicilienne, n’explicite pas davantage le cheminement intellectuel de l’auteure. Celle-ci incite en effet à réfléchir aux limites des cultural studies et à « repenser les contacts entre les groupes culturels au sein des sociétés médiévales» (p. 11). Dans le but d’écarter tout déterminisme, elle rejette l’idée d’identités culturelles immuables au profit d’une approche dynamique du groupe, « entité en devenir » dont les frontières peuvent être redéfinies par le pouvoir, ou en réponse à des « processus de domination». Il s’agit donc de rétablir le primat du politique comme facteur d’organisation et de compréhension du social, au prix peut-être d’une distinction trop tranchée entre le domaine de la « souveraineté» et celui de la « domination ».

Après avoir brièvement évoqué les chroniques disponibles, le préambule dépeint les étapes de la conquête. Plutôt que de retracer des épisodes déjà bien connus, il renvoie à un tableau chronologique synthétique, ce qui permet d’insister sur les éléments qui préparent l’analyse postérieure. L’étude de l’entreprise normande, étalée sur trois décennies (1061-1091), permet de souligner les atermoiements de la population arabo-musulmane et de ses alliés fatimides et ifriqiyens. Quant à la position des « chrétiens hellénophones » liés à Byzance, elle se caractérise par une certaine neutralité et non par un ralliement enthousiaste au projet normand. Loin de pouvoir être considéré comme une préfiguration de l’idéologie de croisade, ce dernier se définit par l’exaltation des mérites de la natio normande plutôt que par une justification religieuse.

La première partie du livre s’attaque au mythe du multiculturalisme et de la « tolérance » des Hauteville. C’est d’abord l’usage des langues et la question du trilinguisme d’État qui retient l’attention de l’historienne au cours de son exploration rigoureuse des 141 actes de la chancellerie palermitaine. La politique normande ne se limite pas à un simple transfert linguistique : elle ménage à chaque langue une place dans la culture d’État et elle en exploite les potentialités suivant des enjeux complexes. Ainsi, la titulature royale en arabe manie des références islamiques qui sont explicites pour la population musulmane insulaire comme pour le califat voisin des Fatimides, mais elle se réfère aussi au registre symbolique du christianisme arabophone. Le cérémonial de cour et l’image du souverain s’inscrivent également dans un contexte m...

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