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  • Repenser le politique en Grèce ancienne*
  • Vincent Azoulay

Il y a un peu plus de trente ans, François Hartog s’interrogeait sur le sens que pouvait revêtir la parution d’un numéro des Annales entièrement consacré à l’histoire ancienne 1. Ce choix éditorial relevait, à l’en croire, d’un véritable pari, reposant sur la conviction selon laquelle l’étude de l’Antiquité ne devait pas se cantonner à la pure érudition, à l’usage des seuls spécialistes : tout autant que les autres, les spécialistes d’histoire ancienne pouvaient répondre à l’invitation de Marc Bloch et de Lucien Febvre qui, dans le premier numéro de la revue, appelaient les historiens à « abattre les murs si hauts que, bien souvent, ils bouchent la vue » pour « s’efforcer de suivre l’œuvre du voisin » 2.

Consacré à l’expérience politique de la Grèce ancienne, ce nouveau dossier procède d’une volonté de décloisonnement similaire. De fait, les contributions [End Page 605] mettent en avant des manières de faire et des questionnements communs à tous les historiens, quels que soient leur période et leur domaine de prédilection : réflexion sur les marges de liberté des acteurs dans un environnement sous contrainte, dans la lignée de la microstoria ; prégnance d’une histoire-réseau et d’une vision réticulaire des cités grecques ; prise en compte des jeux d’échelle spatiaux, se marquant par le refus d’une cité polarisée autour d’un centre unique ; attention nouvelle aux conditions de production des « sources », à leur contexte de performance comme à leur horizon de réception ; volonté d’alterner, dans l’écriture de l’histoire, temps long et temps court, structure et événement. À tous ces égards, l’histoire ancienne apparaît aujourd’hui en voie de normalisation autour d’un horizon historiographique partagé, comme en témoigne d’ailleurs l’un des tout derniers numéros de la revue portant sur la question des statuts sociaux, où le regard des antiquisants vient croiser de façon féconde celui des autres périodes 3.

Pour autant, il s’agit d’une évolution récente : à l’époque où F. Hartog écrivait son introduction, la situation était bien différente – ce qui explique au demeurant la tonalité militante de son propos – et, pour s’en tenir au champ de l’histoire politique de la Grèce ancienne, plusieurs traditions d’étude coexistaient alors sans dialoguer entre elles. Peut-être faut-il commencer par donner un aperçu de ces forts clivages – et des dynamiques propres à chacun de ces courants historiographiques – pour prendre la mesure des déplacements qui se sont produits au cours des trente dernières années et dont ce numéro témoigne à son échelle. Je partirai de quelques œuvres emblématiques, publiées au milieu des années 1980, pour dresser cet état des lieux, nécessairement incomplet.

En 1984, François de Polignac remontait aux origines des cités grecques en montrant, grâce à l’apport de l’archéologie, le rôle décisif joué par les pratiques communautaires dans l’émergence du phénomène civique: loin de se définir de façon juridique, les premières communautés civiques se seraient structurées autour de rituels collectifs et, en particulier, des cultes des héros et des processions vers les sanctuaires des confins 4. À l’opposé de la perspective généalogique traditionnelle qui, depuis Aristote, suppose le passage de la famille à la tribu et de la tribu à la cité, l’auteur mettait en valeur, de façon horizontale, les processus d’attachement au territoire et le rôle qu’y auraient tenu les grands rituels communautaires. C’était là une façon de remettre à l’honneur les pratiques religieuses dans l’émergence du phénomène civique, suivant une perspective ouverte par Numa Denis Fustel de Coulanges selon laquelle c’est la croyance – et non le contrat – qui est fondatrice du lien social 5. C’était surtout s’inscrire dans la lignée des recherches lancées par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, qui soulignaient déjà la [End Page 606...

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