Inflexions de voix by Thomas Pavel (review)

446 LETTERS IN CANADA 1976 convainquante. Son livre s'inscrit dans une collection remarquable d'ouvrages specialises dans ce domaine. On ne saurait trap en recommander la lecture. (DANIEL F. JOURLAIT) Thomas Pavel. Inflexiolls de voix.Les Presses de !'Universite de Montreal. 178 Publie dans la collection 'Lectures' dirigee par Julien Bigras, l'essai de M. Pavel renvoie, par son titre, aVerlaine et a'Mon reve familier' (Poemes Saturniens VI): 'Elle a / L'inflexion des voix cheres qui se sont tues.' Mais s'agit-il encore dans Ie cas present de poesie, ou bien d'une suite de portraits-attitudes, d'anecdotes symboliques, d'historiettes propres a illustrer de fa,on allusive des situations d'echanges linguistiques dont l'aspect theorique nous a occulte la pratique quotidienne et Ie lien essentiel qu'elles entretiennent avec la vie? Toutes les fonctions du langage, toutes les structures linguistiques auxquelles la linguistique moderne nous a habitues sont ici repensees et poussees jusqu'au sophisme Ie plus irreductib1e: 1a fleche ne rattrapera jarnais la tortue et la parole lancee oe coincidera jamais avec la pensee qui lui a donne naissance ni avec la chose alaquelle elle est destinee; l'illustration al'aide d'anecdotes, 'U proclamait... : de contextes d'echanges renforce Ie symbolisme d'un discours-recit qui tourne ala parabole et au mythe. eet essai (Le mot convient-il bien pour caracteriser ce livre prob~iforme, pour resumer ces variations sur un theme, ces fugues a plusieurs voix? C'est Ie seu1 qui nous vient aI'esprit.) se present comme une suite de developpements, de paragraphes plus ou moins longs analysant piece apres piece, ala fa,on des moralistes (La Bruyere n'est-il pas cite page 74?) demontant les ressorts du comportement humain dans Ie cadre social, I'immense puzzle du comportement linguistique de 'l'homo locuton.' Le livre peut presque se lire apartir de n'importe quel deveioppement: 'De la communication,' au 'Des mots,' au encore 'De l'analogie: tous portant la marque unitaire de !'influx, du vecteur qui porte l'esprit vers Ie monde parl'intermediaire de la parole. Nous avons dans ces 178 pages une sorte de reflexion sur ce qui precede la parole et sur ce qui en determine les modalites, sur ce qui se passe dans l'acte de production linguistique et sur ce qui Ie suit. Ces explorations de l'avant-parole, de la parole et I'apres-parole ne vont pas sanS humour ni sans obscurites. L'exploration du proto-linguistique, pas exemple, avec tout ce qu'il possede de mystere, d'espoir, de folie, nous laisse au seuil de la parole, pille reflet de la pensee et de toute I'activite mentaIe qui achoppe et echoue sur les mots inadequats qui ne sont jamais, en fin de compte,les chases auxquelles on croit avoir reve. L'influx semble ne jamais parvenir ason but. Un 'Je' sceptique d'au- HUMANITIES 447 teur, auquel Ie lecteur ne tarde pas as'identifier, remet constamrnent en question Ie proces du postulat initial: 'Je parle donc je suis: prod"s auquel il ne peut adherer completement. Souvenir d'un monde adamique, intense, absolu, les mots ne sont que Ie pale reflet de l'etymon spirituel d'un age d'or revolu. Les mythes, comme les metaphores, expliquent de fa~on fabuleuse ou imagee ce que la linguistique moderne a trop souvent enferme dans la technicite de son metalangage. Ainsi Ie triangle possible/impossible /visqueux reprend-il de fa~on plus imagee, les termes de grammatical /non-grammatical/a-grammatical, et la projection obstinee de I'etre dans les mots reprend-elle Ie mythe de Sisyphe, s'epuisant et s'extenuant dans un faire langagier, dans un 'peesia' toujours it refaire et it reprendre . On ne peut pas rester insensible it la revalorisation des aspects ludiques du langage: amour, jeu, conversation, theatre - aspects qui echapent totalement aux analyses structuralistes ou transformationnelles . Il n'est pas etonnant de retrouver au detour des paragraphes la silhouette de Corneille, prince par excellence du discours dramatique, du discours qui semble se faire au moment meme de son elocution. On ne peut pas juger de cet essai en termes theoriques ou techniques: on l'aime...