Poésie

POESIE Sur les quelque quatre-vingt recueils de poemes parus au Quebec en 1973 (il Yen eut environ cent dix I'annee precedente), il sen trouve une bonne vingtaine que l'on puisse relire avec profit. Dans Ies limites du present article, je pourrais toujours me contenter de presenter chacun de ces livres en quelques phrases - ce que j'ai fait l'an dernier. Par Ia force des choses, toutefois, j'ai adopte une autre demarche. ravais apeine parcouru deux ou trois volumes qu'il me semblait deja voir se dessiner un reseau thematique propre 11 ces ouvrages. Comme Ia lecture des recueils suivants confirmait cette impression premiere, j'ai resolu de prendre Ie temps voulu pour donner une idee suffisante du contenu des recueils que j'estime principaux, axant mon commentaire sur Ie jeu de Ia symbolique. Une question m'interesse : est-il possible que des poemes d'esthetiques diverses, produits par des poetes de formations differentes, referent aun meme reseau thematique , etroitement lie ace que l'on pourrait appeler l'esprit du temps, a savoir Ia synthese des idees, des desirs et des actes qui definissent I'actuel mode de vie? Telle est en tout cas Ia preoccupation qui influence rna lecture de huit des recueils de l'annee 1973.* Jacques Bernier fait de Reminiscences (Editions du Jour, collection Les Poetes du jour, MA8, 121, $3.00) un livre difficile II apprivoiser en raison d'un style fruste, cumul de formules verbales, de participes, d'adverbes. Ce recit joue sur Ies affinites du sexe et du texte, par reference au sacre: une fois encore, Ie Verbe se fait chair, Dire est l'avatar de Dieu. Dans un decor de soleil et de mer, Ie narrateur figure un navigateur en quete de l'or du levant, mais dont Ie projet heroique avorte des lors qu'il prend COnscience de plagier d'anciens modeles: pour lui, desormais, Ie futur se resout en memoire, toute naissance est reminiscence. Les trajets et les orientations s'inversent, les droits de retour s'exercent, toujours la mort prend pour dble l'image virtuelle. Paradoxe prevu: Ie poeme ne sera pas, puisque tout finit avant meme de commencer (Tai en avant de moi casse Ia tete de mes sources,' p 89) et l'on tue dans I'reuf Ies reves d'une impossible nouveaute radicale. Dans Les Bracelets d'ombre (Editions du Jour, collection Les Poetes du jour, M-49, 62, $2.00), Claude Beausoleil evoque Ies episodes d'un amour, Ies graphiques et Ies rythmes du present. II denonce chaque fois l'inutilite du dynamisme: d'entree de jeu, c'est Ia course d'un bolide qui fuit vers nulle part, chute libre d'un poursuivant-poursuivi enfin desintegre en plein vol. L'accident (Ie desastre) defait, devaste, chaque forme eelate en 366 LETTERS IN CANADA plusieurs fragments semblables (voir les poemes 'DeEaire pour deferler,' 'Prisme,' 'Dimension'). Mais en depit des facettes multiples, atravers les fissures, failles ou felures des ecrans, une harmonie se dessine, virtuelle, it l'image de cercles d'ombre. Monologue aussi long que l'hiver qu'il traverse, Le Mangeur de neige (Editions du Jour, collection Les Poetes du jour, M-46, 121, $2.00), de Pierre CMtillon, a pour objet les ultimes visions fantastiques d'un agonisant , enseveli dans un banc de neige, lequel se recouvre d'enveloppes successives , telles la ville de Crucigivre, l'He de glace, la planete ason tour rev/hue de vide, autant de lieux apparentes it des limbes. On est ici entre neant et existence, on execre la vie comme on fulmine contre la mort. Cela seul compte qui dresse Ie heros, farouche ",voM de la lignee de Cain, contre Ie Createur et contre sa creature, monstrueuse erreur. Avec ases trousses 'l'abominable mort des neiges' (p 21) qui Ie vise de son arme a froid, iI voit que la fuite est insensee, fait front et prend d'assaut la ville fortifiee des Elus. II repond au 'givrendie' Cpp 21,38,47, etc.) par l'incendie . Le cri de vengeance qu'il etouffait devient une arme afeu, un autre soleil, capable de mettre 11 mort la mort meme, et, si possible, Dieu. Mais la...