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  • Poésie 2012
  • Daniel Gagnon (bio)

Lire la poésie cette année, dans ce monde de plus en plus étriqué, c’est sentir tout à coup un feu nouveau dans l’âme. Au contact des œuvres, le monde est tout à coup moins menteur. On a l’impression de moins piétiner, comme si la poésie venait à notre secours, apportant ici et là, avec éclat ou en catimini, en filigrane, entre les lignes souvent, une nuance affective, nous libérant de l’enfermement d’un monde clos sur lui-même, nous délivrant du confinement d’une seule posture d’être. Aussitôt né, n’est-ce pas, on dirait qu’il faut aussitôt s’enclore.

une poésie rebelle à la banalité désespérante du dis-cours contemporain

Hélène Dorion donne à la poésie une certaine distinction. Sa poésie devient maxime nouvelle, dépasse le pays des mots où elle s’est d’abord manifestée: « Tu t’éveilles parmi les éclats d’obscurité // tu reviens du vaste sommeil qui t’étreint / plus fort que mes bras, chaque soir / je me dépouille et t’abandonne / aux herbes hautes de la nuit. // Les heures qui nous engendrent / nous séparent, et je renonce à toi / jusqu’à l’aube qui dissout l’absence. » On cherche dans Cœurs, comme livres d’amour, une image de la poète elle-même, de ses penchants, de son caractère, de ses envies, de ses passions: « Le silence enserrait l’horizon, tout / bientôt allait s’éteindre. / Tu portais ton âme comme on porte un monde / auquel on ne croit plus. // Le dos courbé, les bras / pareils à des branches cassées / le long de ton corps, on aurait dit un ciel / aminci, une terre rompue où chacun / est lourd de ses espoirs blessés. // Le chemin de lumière et de peine / s’étire, dans la brûlure du soir / qui dénude le vaste horizon / tu n’ignores plus rien de ton cœur. » On veut la connaître, ne fût-ce que pour savoir ce que nous devrions espérer comme matière à littérature, comme [End Page 110] matière à rêver, pour connaître l’influence prodigieuse qu’exerce sa poésie sur la marche de l’imagination jusqu’au déclenchement d’une mélodie silencieuse, d’une romance lancinante, obsédante même: « Le feu de décembre brûle l’année / les cendres déjà s’amoncellent. / Tu ranges tes carnets / tu refermes les livres. / Derrière toi, les pas / — tantôt encore si proches — / deviennent méconnaissables, les jours / en ont changé les traits, révélé la lourdeur. // L’horloge sonne minuit – l’amour / un champ d’heures / où trébuche et résiste et tombe et s’embrase / l’histoire de nos pas —, de nouveau / tu ensemenceras la terre amoindrie ». Dorion donne un certain tour au poème, parfois délicat et mélancolique, parfois si ardent qu’on aimerait mieux avoir brûlé le poème sur le champ tant sa piqûre mortelle a insidieusement cheminé jusqu’au cœur de la lecture: « Ce matin le vent enlace la maison, étreint / les arbres comme m’étreint ton silence. / L’étendue s’efface, ne laisse que mon corps / mes veines fines, mes mains éparpillées // dans le souvenir de ton visage, — le désir / est amour de la lumière. // La neige a secoué les dernières brumes / éclairci le jardin. J’entre / à l’intérieur du poème / qui croira faire un long voyage / pour rejoindre ce que seul / le temps sait accueillir. // Tu ravives chaque mot comme un naufragé. / Tu regardes par-delà la rive, entends souffler / crois-tu, l’éternité ». À la rassurante image du jardin et des arbres dans le vent s’opposent l’angoisse de l’oubli et le fantasme de l’absence. Tout se rature, tout s’efface et se biffe et s’érafle, ne subsiste que l’incendie de l’amour, seule réalité. Le poème échappe au désabusement par un parti pris intime et romantique, partant à la recherche d’un absolu dans les méandres des...

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