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  • Distances, rencontres, communications. Réaliser l’empire sous Charlemagne et Louis le Pieux by Martin Gravel
  • Thomas Lienhard
Martin Gravel Distances, rencontres, communications. Réaliser l’empire sous Charlemagne et Louis le Pieux Turnhout, Brepols, 2012, 467 p.

En 1999, le médiéviste allemand Hans Werner Goetz ironisait à propos de la notion de communication, observant que ce terme s’était diffusé dans l’historiographie pour désigner pratiquement toute réalité sociale, au point de perdre sa cohérence sémantique1. On pouvait donc légitimement s’inquiéter en découvrant l’ouvrage de Martin Gravel : celui-ci, en effet, fait de ce sujet le centre d’une recherche qui, de surcroît, comporte le risque de porter sur un espace fort vaste et abondamment étudié par les historiens depuis près de deux siècles, celui de l’empire carolingien au maximum de son extension (768-843).

L’inquiétude s’évanouit pourtant très vite, pour deux raisons dont la première est d’ordre historiographique. Face à la vulgate tenace selon laquelle un tel empire était décidément trop étendu pour les moyens de communication de l’époque, les historiens ont tenté de suggérer qu’une aristocratie d’empire fortement unifiée avait pu contribuer à maintenir la cohérence politique franque. Mais ce concept de Reichsaristokratie a lui-même connu bien des déboires, de sorte que l’on manque désormais de réponses probantes sur la manière dont l’autorité impériale carolingienne a géré la distance. Or l’un des mérites de M. Gravel est de proposer des éléments de réponse. Par ailleurs, l’ouvrage est rassurant parce qu’à l’image des Carolingiens, il se donne les moyens de sa politique : sans abuser du concept de communication symbolique, désormais surchargé dans le cadre de la médiévistique, l’auteur reprend à nouveaux frais les questions de transport et d’information à l’époque carolingienne pour en mesurer toutes les conséquences en termes d’organisation des pouvoirs. [End Page 514] Pure histoire des conditions matérielles, au risque de retomber dans un vieux carcan matérialiste mal adapté à l’histoire d’un empire ? L’ouvrage échappe à la fois au manque d’originalité, parce qu’il examine les sources à nouveaux frais, et au positivisme, en ce que chacune de ses conclusions jette un nouvel éclairage sur la sociologie politique carolingienne.

M. Gravel commence par rappeler les conséquences des longues distances pour l’exercice du pouvoir de Charlemagne et de Louis le Pieux. Si l’entretien des routes, contrairement à une idée reçue, s’était amélioré sous les Carolingiens par rapport à l’époque romaine, la circulation s’était toutefois ralentie et il en résultait des délais supérieurs à un mois pour qu’une décision impériale fût connue en chaque point du territoire. Encore cette moyenne connaissait-elle de fortes variantes. Ainsi en Aquitaine, qui constitue le maître exemple de toute l’analyse, l’auteur montre que la voix du souverain, émanant principalement du quadrilatère Nimègue-Metz-Francfort-Compiègne, était particulièrement lointaine. Cette distance était en partie cultivée par l’autorité centrale, et c’est là une autre surprise qui attend le lecteur : alors que l’historiographie décrit volontiers les dirigeants des sociétés anciennes comme s’essoufflant en d’incessants voyages, Charlemagne et Louis le Pieux ont fait preuve au contraire, durant la majeure partie de leur règne, d’une remarquable stabilité géographique, ne visitant jamais la majeure partie de leur empire et attendant leurs sujets en restant assis sur leur trône dans la plus hiératique immobilité. Contrairement à une idée reçue, les années de difficultés politiques correspondent avec celles durant lesquelles l’empereur se départit de cet immobilisme.

D’autres solutions adoptées par les architectes de l’empire face à la distance sont également abordées par M. Gravel. Les Carolingiens, comme on le sait depuis les travaux d’Otto Gerhard Oexle, se sont efforcés de briser l’ensemble des structures sociales horizontales, telles que les guildes, qui...

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