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  • Souveraineté et territoire :Enjeux et perspectives
  • Nicolas Barreyre and Geneviève Verdo

Au cours des deux dernières décennies, deux mouvements historiographiques ont remis en question la notion de souveraineté, et en particulier l’ancrage « naturel » d’une souveraineté étatique absolue sur un territoire uniforme comme son modèle achevé. D’une part, l’expérience de la mondialisation qui a suivi la chute du Mur de Berlin – et qui a fait parler alors de la « fin des États-nations » – a produit une nouvelle réflexion sur l’organisation politique du monde contemporain qui « déterritorialisait » en partie le problème du contrôle politique1. D’autre part, l’extraordinaire essor des travaux sur les empires coloniaux établissait que la souveraineté, loin d’être le bloc homogène des épures des juristes, pouvait s’exercer à différents degrés, voire se concevoir comme multiple et « feuilletée »2.

En remettant en cause « l’évidence » du couplage entre les notions de souveraineté et de territoire, ces réflexions procèdent à deux opérations intellectuelles complémentaires. Elles soulignent en creux combien la notion dominante de souveraineté dont nous avons hérité est le résultat de la construction et de la mise en [End Page 307] place des États sur plusieurs siècles, ce qui explique tout le travail nécessaire pour se déprendre de cette acception3. Elles révèlent aussi combien le principe de territorialité est ainsi chargé d’un sens faisant apparaître comme allant de soi cette lecture spatiale du politique. Or, comme le rappelle Bertrand Badie, « le politique n’est ni naturellement ni universellement territorialisable et là où elle se réalise, cette construction connaît des modalités complexes, beaucoup plus exigeantes qu’on ne le croit, soumises à des effets de conjoncture qu’il ne faut pas négliger4 ».

Le présent dossier se propose de réinterroger l’articulation entre souveraineté et territoire en l’abordant dans des constructions historiques précisément situées. Couvrant un champ géographique et chronologique assez vaste, il présente cinq analyses de construction de la souveraineté dans laquelle l’implication du (des) territoire(s), à différentes échelles, constitue un enjeu décisif. Ces cinq cas d’étude portent sur la période généralement comprise comme celle de l’établissement des États-nations – auxquels la définition territorialisée de la souveraineté esquissée plus haut est si liée – mais chacun révèle à sa manière les multiples situations où la coïncidence entre pouvoir souverain et territoire ne va pourtant pas de soi. Les révolutions atlantiques, en remettant soudain en question la souveraineté monarchique et en légitimant la souveraineté populaire, ont à la fois déstabilisé le concept et déclenché des réflexions politiques tous azimuts pour le refonder politiquement5. Dans ce bouillonnement, le territoire « apparaît non comme le seul support, neutre, de la nouvelle configuration sociale, mais comme son rouage essentiel »6.

Par ses cinq articles, ce dossier interroge les multiples biais par lesquels les mutations post-révolutionnaires de la souveraineté engagent le territoire. De quelle façon les nouveaux principes et les nouvelles configurations politiques influent-ils sur l’organisation spatiale et, en modifiant l’organisation et le statut des communautés, fabriquent-ils de nouvelles réalités territoriales ? À rebours, dans quelle mesure la notion de territoire – celle d’un espace socialement investi et construit à travers le temps – joue-t-elle un rôle dans la manière dont les nouveaux pouvoirs sont définis, légitimés ou contestés, et dont la souveraineté légitime se forge et se consolide ? Dans un contexte où les fondements même du pouvoir sont redéfinis sur de nouvelles bases – celles de la volonté générale et du consentement populaire –, se pose la question de savoir ce qui lie un pouvoir souverain à un territoire, comment ce pouvoir s’inscrit dans l’espace et, à l’inverse, comment d’éventuelles rivalités s’exerçant sur un espace peuvent contribuer à le consolider ou à le remettre en cause. [End Page 308]

L’une des caractéristiques de ce long XIXe si...

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