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Reviewed by:
  • La lectrice est mortelle by Judith Schlanger
  • Jacques Neefs
Judith Schlanger. La lectrice est mortelle. Paris : Éditions Circé, 2013. Pp. 156.

Les livres de Judith Schlanger marquent une longue réflexion, tendue et scrupuleuse, avec la pensée dans son langage, dans sa durée, dans ses initiatives, dans ses effacements. Avec les Métaphores de l’organisme, Judith Schlanger nous a fait comprendre de façon profonde le rôle des métaphores dans la constitution de la pensée scientifique au XIXe siècle. L’invention de la pensée dans le langage est l’objet des livres suivants, Penser la bouche pleine aussi bien que le magnifique [End Page 120] Comique des idées. Le temps et les formes de la pensée qui en découlent sont l’objet de L’enjeu et le débat ou de L’invention intellectuelle. Lire les livres de Judith Schlanger donne une compréhension subtile des zones peu explorées de la préfiguration et de l’oubli (voir La mémoire des œuvres, La vocation, Présence des œuvres perdues), et de ce qui dans les textes constitue leurs plus intimes incitations à penser. Judith Schlanger est écrivain assurément, dans ses livres « théoriques » comme dans ses autres écrits tels Patagonie ou Douleur parfaite.

Avec La lectrice est mortelle, Judith Schlanger relate, plus qu’elle n’analyse, certaines de ses expériences de lectrice, commençant par une curieuse petite fable de bibliothèque, « Les Rabson et moi » : quel lien peut-on entretenir avec ceux dont on ne rencontre que les Ex Libris dans les ouvrages empruntés dans une bibliothèque ? C’est l’occasion de définir le plaisir de la lecture de curiosité, de vagabondage, de rencontres, pour « donner place, donner voix, à l’aspect existentiel de l’expérience de lecture. » (p. 18) La « lectrice » avance avec une très profonde originalité, à l’approche de ce que les paradoxes ont de plus intelligent. Ainsi de la fragilité et de l’intensité du « romanesque enchanté » qui nous permet de rejoindre « la jeunesse de nos parents », dans la lecture de L’âme enchantée (1922-1923), mais c’est aussi l’occasion pour l’auteur d’interroger l’énigme (paradoxale ?) de la « littérature populaire » (Romain Rolland, Hugo, Dickens) : « Comment est-ce si fort, alors que c’est si faible ? » C’est également une interrogation sur « la philosophie populaire » que développe la lecture du livre de Robert Persig, Zen and the Art of Motorcycle Maintenance (1974), que Judith Schlanger analyse efficacement comme une « épopée initiatique ». Dans chaque « lecture » de ce livre, nous sommes sollicités par la même très vive attention intellectuelle, et l’écriture en est mise en mouvement par la rencontre, avec une liberté remarquable. Un univers singulier, rare, d’une merveilleuse acuité, est ainsi dessiné de chapitre en chapitre (Judith Schlanger invente ici une forme que l’on pourrait nommer « l’essai condensé »). Notons en particulier le double récit (proche, comme vécu par l’intelligence) de vie-œuvre que représentent les textes magnifiques sur « Dorothy Richardson, écrivain célèbre » et sur « Virginia Woolf l’après midi », qui littéralement habitent deux destins de femmes écrivains. Textes, films, ce sont également de singulières présences que la « lectrice » fait lumineusement apparaître et découvrir : avec deux autobiographies chinoises (« L’amour en Chine »), l’une du XIXe siècle, l’autre de la période récente, qui semblent détacher l’autobiographie du goût de l’âge, au profit du charme d’un « univers déraciné » ; avec ces « Nouveaux pèlerins » qui s’attachent aux vieux films d’avant-garde, et « brouillent » le temps ; ou avec « Le Méliès de Stan Brakhage ou le coup de force de l’interprétation » montrant « ce qu’il y a de violence lyrique dans l’interprétation d’un artiste par un autre » (112). Judith Schlanger se place à la racine de ce qui fait naître l’écrivain et de ce qui intéresse profondément dans un texte d’écrivain, mais aussi dans un destin : ainsi, à propos de Théodore...

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