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Reviewed by:
  • À coups de points : La ponctuation comme experience by Peter Szendy
  • Sarah Nancy
Peter Szendy. À coups de points : La ponctuation comme expérience. Paris : Les Éditions de Minuit, 2014. Pp. 155. €19,50.

Fixe et définitif, le point ? Peter Szendy s’engage à démontrer le contraire en un essai aussi déterminé qu’ouvert aux bifurcations inattendues. Sur la première page, deux images empruntées à la bande dessinée (le point et ses avatars seront souvent donnés à voir) nous placent sur un ring, entre le coup et sa reprise « flash-photographique ». L’objectif, en effet, sera de faire comprendre que le point a « la structure même du sentir » : « à chaque seconde, à chaque instant, une sorte de double vient se fourrer entre vous et ce qui vous advient, qu’il redouble de sa ponctuation pour que ça vous arrive ». [End Page 119]

Les toutes premières pratiques de ponctuation le montrent, comme ce point rouge par lequel le scribe égyptien se « réapproprie » le texte « après coup ». Le point est donc condition et relance du sens, et c’est ce qu’emblématise le roman Tristram Shandy à travers son usage exceptionnel de la ponctuation, en une « quête infinie et infiniment mise en scène de ce qui pourrait enfin arrimer le texte à son sujet ». Au nom de ce glissement du sujet, Szendy, rouvrant le débat initié par Jacques Derrida, traque le « battement » du point sous la « lettre » lacanienne réputée « indivisible et insécable ».

Alors si le point dépend du texte qu’il fait surgir rétroactivement, peut-on imaginer une « ponctuation sans texte » ? Oui, à condition de faire place aux « trous dans le sens », à ce « phrasé » tendanciellement musical, que Nietzsche condamne chez Wagner, et célèbre chez Sterne. Ambivalence ? Reconnaissance, plutôt, du rôle majeur de « ce ou celui » qui reçoit la ponctuation, au cours de ce qui est moins une écoute qu’une « auscultation » : comme le médecin, la pensée doit savoir interroger « à coups de marteau » et décrypter les « pointillés » qui parviennent par résonnance.

Écouter pour penser, penser en écoutant pour « souligner et amplifier les écarts entre les tons et les intonations », c’est aussi ce à quoi invite Derrida avec l’injonction de « tympaniser la philosophie ». D’où cette importance accordée à ce qui se passe entre les deux oreilles, et même, suggère Szendy, à ce qui diffère d’une oreille à l’autre. Cette « disjonction » est sensible dans le double usage du point par Hegel : « Le point […] ne fait pas que scander ou articuler [chaque grande étape de la fabrique du monde], en l’accompagnant ou en la rythmant—il en est aussi l’enjeu même ».

Si c’est alors le modèle du son qui se dégage, serait-ce que l’image, pour sa part, bloque semblable mouvement ? C’est sans compter le discours sur l’image, dont Szendy montre le pouvoir simultané de clôture et d’ouverture : « entraînant l’image à perte de vue dans l’intertexte de la langue », l’ekphrasis constitue un point de résistance face aux effets de l’image fixe ou animée. Le chemin est ainsi tracé vers un questionnement politique. Mais il est difficile de déterminer si la lutte contre l’ordre injuste revient à supprimer, redéfinir ou rétablir le point. C’est l’effet de cette « stigmatologie » que de compliquer l’association entre point et « souveraineté », pour finalement jeter un soupçon sur les ambitions démocratiques du sondage au service des « points de vue » de l’opinion.

Le livre, on l’a compris, a lui-même le mouvement de ce qu’il entend démontrer. Il progresse par rebonds, dans l’espace de la page comme dans celui d’un dialogue intellectuel à l’ampleur remarquable, et met un point d’honneur à faire sursauter le lecteur avec lui. Le revers de cette application maximaliste de la thèse est une paradoxale tendance à l’égalisation. De métaphore en métaphore, la force de l’affirmation première se dilue parfois en une interprétation « stigmatocentrée » de toute expérience. On aimerait que soit interrogé l...

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