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  • Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992 by Pierre Bourdieu
  • Francesco Callegaro
Pierre Bourdieu
Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992
Paris, Le Seuil/Raisons d’agir, 2012, 656 p.

On considère souvent la sociologie comme la science qui a destitué le politique de son pouvoir instituant, le réduisant à un facteur parmi d’autres du monde humain, également soumis à l’empire des causes sociales enfin émancipées. C’est là un mythe disciplinaire persistant, dont l’emprise tient sans doute au fait qu’il permet d’expliquer à moindre frais la genèse et l’identité de la sociologie, pensée comme un renversement de la philosophie politique héritée. Or le grand intérêt et l’actualité des cours sur l’État que Pierre Bourdieu a donnés au Collège de France à la fin des années 1980 est de faire comprendre jusqu’à quel point ce mythe, pour bien fondé qu’il soit dans l’organisation institutionnelle, ne procède pas moins d’une simplification, voire d’une profonde incompréhension, du projet sociologique. C’est donc avec raison que les éditeurs ont commencé par ces cours la publication de l’enseignement oral de P. Bourdieu.

Un geste inaugural s’y exprime que les nombreux articles publiés à leur suite ne rendaient pas perceptible comme tel : en s’intéressant à cet objet dont il confesse n’avoir pas osé, jusquelà, écrire le nom, P. Bourdieu ne se borne pas, en effet, à faire revenir l’État dans la sociologie, à l’instar du courant qui a marqué la science politique à partir des travaux de Theda Skocpol, mais opère un retour sur la sociologie elle-même, dont il dévoile les liens ambivalents qui la rattachent à l’État comme à la condition lui permettant de mieux se comprendre. C’est que le projet sociologique, du moins dans la synthèse que P. Bourdieu a toujours essayé de proposer, est porté par « une prétention démoniaque tout à fait analogue à celle de l’État », à savoir « construire la vision vraie, plus encore qu’officielle, du social » (p. 70). Tel est le principe de cette rivalité mimétique qui caractérise les rapports entre l’État et la sociologie, le premier se constituant comme le point de vue englobant où se donne à voir cette totalité sociale que la sociologie entend seule pouvoir saisir, en objectivant la pensée même de l’État. Bref, « s’il est vrai que l’État est méta », alors la sociologie est toujours « méta-méta » (p. 94) : elle doit aller avec l’État au-delà de l’État pour découvrir cette vérité du social qu’il prétend connaître parce qu’il contribue à l’instituer, mais qui ne peut se donner comme telle qu’à partir de l’antagonisme que la sociologie instaure en le dédoublant. C’est bien ce qui destine la [End Page 289] sociologie à s’accomplir dans une analyse critique de l’État. L’arc de l’enquête est ainsi tendu entre la définition de l’État qui ouvre le premier séminaire et la reconstruction historique qu’elle oriente de la genèse et du fonctionnement de l’État moderne, au terme de laquelle le projet sociologique se laisse saisir comme tel.

La définition liminaire donnée par P. Bourdieu, qui dit préférer les « concepts flous et provisoires » (p. 238) à la rigueur philosophique durkheimienne, résume le déplacement essentiel qui s’opère dans ces cours et l’effet de synthèse qu’il produit. En recentrant l’activité de l’État sur le « monopole de la violence symbolique légitime » (p. 14), P. Bourdieu ne corrige pas seulement la théorie wébérienne, mais explicite surtout le renouvellement profond de la tradition sociologique de l’École française que recelaient ses travaux antérieurs : ayant compris que dans son article sur le pouvoir symbolique il avait parlé « de l’État sans le savoir » (p. 288), il est à présent en mesure de rapporter à l’État ce conformisme moral et logique qu’Émile Durkheim avait d’abord fait...

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