De Gaulle et les élites ed. by Serge Berstein, Pierre Birnbaum, and Jean-Pierre Rioux (review)

Cet ouvrage collectif est issu de différents colloques organisés sous le patronage de l’Institut puis de la Fondation Charles de Gaulle. Il se propose de revenir, à travers dix-huit contributions, sur les rapports ambivalents et parfois changeants entretenus par le général de Gaulle avec les élites économiques, administratives et politiques tout au long de sa trajectoire personnelle. Précisons que le propos de ce recueil prend corps autour de trois parties qui suivent un ordre chronologique : des années 1920 jusqu’à la Libération ; « la traversée du désert» de 1946 à 1958, tandis que la dernière partie porte principalement sur la Cinquième République. Mais cette présentation «chronologique» dissimule un pari beaucoup plus original. Mettre ainsi en resonance la trajectoire d’un acteur autour de la question plus générale de son rapport « aux élites » permet de dépasser la perspective simplement biographique et de ré-articuler le récit de cette trajectoire autour de configurations historiques et politiques successives. L’histoire « fil » passe alors au second plan au profit d’une histoire relationnelle faite de rencontres, de soutiens, d’incompréhensions et de rapports ambivalents.

Ce parti pris permet de poser la question plus générale du soubassement social d’une réussite politique, du rôle que jouent les rapports entretenus avec différents groupes sociaux dans une biographie personnelle. Cette perspective n’est alors jamais aussi heuristiquement féconde que lorsque les contributeurs osent pointer certaines contradictions entre les discours produits et les nécessités subies qui contraignent l’homme politique, plus largement entre ses paroles et ses actes. C’est notamment le propos de la contribution de Julian Jackson qui – revenant sur la période londonienne – ne peut que souligner l’écart entre, d’une part, une expérience « qui aiguisa son mépris des notables attachés à leurs richesses et leurs privilèges » (p. 38), l’amena dans ses discours à appeler de ses vœux l’émergence d’« une élite socialement distincte de celle qui avait jusqu’à présent gouverné la nation » (p. 41) et, d’autre part, la réalité d’une configuration politique qui obligea le général à composer, dès la Libération, avec une partie des élites anciennes au «nom du rétablissement de l’État et de l’ordre » (p. 41).

Les contributions de l’ouvrage ne sont jamais aussi pertinentes que lorsqu’elles s’inscrivent dans la continuité d’une réflexion ancienne chez leurs auteurs. La trajectoire du général de Gaulle permet alors d’interroger sous un angle nouveau les thèses défendues dans d’autres ouvrages par ces derniers. C’est le cas par exemple de la contribution de Patrice Duran sur la régionalisation, où est montré comment le général (quelle que soit son influence politique nationale) se heurte à des élites locales structurées et ne parvient pas à « neutraliser notables et appareils politiques » (p. 176), devenant ainsi « la victime paradoxale de la centralisation française et de ses élites » (p. 194). C’est également le cas de la contribution d’Alain Chatriot intitulée « À la recherche des ‘forces vives’ », qui revient sur l’utilisation dans les discours du général de Gaulle de cette expression « bien floue » pour « grouper dans une même analyse des phénomènes qui pourraient sinon paraître dissociés » (p. 220).

Ce même souci des discours de l’homme politique traverse la contribution de Marie-Christine Kessler qui s’intéresse, quant à elle, à la question cruciale du rapport du général de Gaulle à la haute fonction publique. Elle analyse notamment la distinction qu’effectue le chef d’État au sein des grands corps, entre « ceux qui conseillent et ceux qui agissent » (p. 77). Sans nécessairement entrer dans le détail des formes différenciées de soutien des hauts fonctionnaires aux projets politiques du g...