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  • L’abus de pouvoir dans l’Algérie coloniale. Visibilité et singularité by Didier Guignard
  • Emmanuelle Saada
Didier Guignard
L’abus de pouvoir dans l’Algérie coloniale. Visibilité et singularité
Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010, 547 p.

Cet ouvrage, tiré d’une thèse distinguée par le prix Germaine Tillion en 2010, est une contribution essentielle à l’histoire de la colonisation en Algérie à la fin du XIXe siècle, à celle de l’« idée coloniale » en France et, enfin, à la sociologie politique de l’État colonial. Cette triple ambition repose sur une analyse de 358 affaires d’« abus de pouvoir» entre 1880 et 1914, identifiées à partir des dossiers de sanctions prises contre des élus municipaux, d’affaires de contentieux fiscal, de recours électoraux au Conseil d’État ou encore d’enquêtes administratives. Certaines d’entre elles qui ont fait « scandale », localement ou nationalement, sont étudiées à partir de nombreuses autres sources, notamment la presse et les débats parlementaires, comme dans le cas de l’« affaire des phosphates » (entre 1892 et 1899), véritable « Panama colonial ».

L’analyse des conditions de possibilité de l’abus de pouvoir ouvre à une sociologie des pratiques administratives dans l’Algérie coloniale. L’auteur décrit le faisceau de causes qui ont facilité la routinisation des pratiques abusives chez les fonctionnaires coloniaux. La première d’entre elles serait une forme de « culture locale » de l’abus – l’auteur n’utilise pas cette expression –, dont la principale matrice serait le « Code de l’indigénat », somme de mesures disciplinaires auxquelles sont soumises les populations indigènes et objet d’une loi en 1881. Cet ensemble de dispositions légalise l’arbitraire, notamment en attribuant les pouvoirs disciplinaires aux administrateurs locaux, et aurait donc créé une « [forte] tentation d’abuser » (p. 53). Autre source d’abus, « le droit incertain », voire le « fatras législatif » (p. 60), qui règne en Algérie : en effet, la substitution partielle du droit français au droit musulman aurait créé d’importantes confusions chez des agents de l’État et certains auraient profité des incertitudes. Les pratiques abusives apparaissent aussi comme une conséquence « de la sous-administration et de l’enclavement persistants du territoire algérien » (p. 71). Ici, l’auteur nous livre ses pages les plus intéressantes sur la faiblesse du maillage administratif, les conditions des transports ou encore les conditions matérielles du travail des policiers, des gardes forestiers et des receveurs des finances dans l’Algérie de la fin du XIXe siècle. À cette liste de facteurs ayant favorisé les pratiques abusives, il faut ajouter le caractère très limité du contrôle exercé sur les fonctionnaires coloniaux. [End Page 267]

L’examen des pratiques des élus locaux n’est pas moins passionnant : l’auteur montre que le désir de faire de l’Algérie une « France nouvelle» a occasionné d’importants investissements publics. Et, puisque la dépense était pourvue non par les colons mais par les contribuables indigènes et métropolitains, les élus municipaux ont pu être « généreux avec l’argent des autres » (p. 143) et constituer un système élaboré de clientélisme, distribuant sans compter postes de fonctionnaires et faveurs multiples. L’ampleur des enjeux explique celle des fraudes électorales.

L’étude de ces conditions objectives de possibilité de l’abus se complète d’une sociologie des acteurs locaux, fonctionnaires et élus, à partir d’une description très utile des profils d’ascension sociale, autorisés par la situation algérienne, ainsi que du recrutement et des pratiques des auxiliaires indigènes. L’auteur procède également à une sociologie des acteurs de la crise anti-juive à la fin du siècle, jusqu’alors mal connue.

Enfin, l’analyse s’ouvre sur une description de la « crise de la colonisation » qui marque le tournant du siècle. Didier Guignard examine à la fois les « ressorts de l’indignation métropolitaine » (il prend en compte la « concaténation de scandales », p. 35), l’activisme des milieux nationalistes et antisémites, en métropole comme en Algérie, et le contexte de l’affaire du Panama...

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