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  • Les anarchistes contre la République, 1880-1914. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République by Vivien Bouhey
  • Christophe Prochasson
Vivien Bouhey
Les anarchistes contre la République, 1880-1914. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 491 p.

Depuis la grande thèse d’État de Jean Maitron publiée en 1951, puis les travaux de Gaetano Manfredonia dans les années 1990, l’historiographie française de l’anarchisme ne comptait guère que quelques études éparpillées, souvent à dimension locale. En rouvrant le dossier, Vivien Bouhey fait montre d’une ambition qu’on ne peut que saluer. Son livre, issu d’une thèse insuffisamment remaniée, embrasse le mouvement anarchiste dans une épaisseur géographique et chronologique qui force l’admiration. V. Bouhey traite des grandes heures de l’anarchisme politique, de sa naissance, au tout début des années 1880, à son évanouissement durant la Grande Guerre. L’auteur a de surcroît arpenté un nombre considérable de dépôts d’archives départementaux afin d’évaluer le poids réel du mouvement.

Peu démonstratif, trop nuancé à force de descriptions détaillées et parfois contradictoires, accumulées au risque de noyer le lecteur sous un déluge d’informations, V. Bouhey en vient cependant à proposer une thèse balancée qui tranche avec celle de ses prédécesseurs. J. Maitron avait jadis défendu une position historiographique, ultérieurement discutée par plusieurs historiens, rendant compte de l’échec du mouvement anarchiste par l’individualisme idéologique et politique de ses militants. De son point de vue, il n’existait pas à proprement parler d’organisation anarchiste. Les réseaux, complots, groupes relevaient pour beaucoup, selon lui, de l’imagination fertile des policiers et des juges et de leur incompréhension face à un phénomène politique insolite. V. Bouhey brosse un tableau plus contrasté. Ainsi son livre porte-t-il sur l’histoire des pratiques politiques anarchistes, et non sur les aspects doctrinaux du mouvement. Pour mener à bien son enquête, il s’appuie principalement sur les sources policières et juridiques, secondairement sur la presse anarchiste. Il délaisse volontairement toute la production théorique, pourtant abondante, de même qu’il se refuse à intégrer à son corpus documentaire mémoires ou correspondances de militants anarchistes. On peut s’interroger sur la pertinence de ce choix méthodologique presque paradoxal qui conduit à informer l’histoire d’une catégorie d’acteurs par le regard de ses adversaires.

De cette traversée, V. Bouhey tire néanmoins quelques enseignements confirmant les apports de travaux antérieurs qu’il reprend d’ailleurs à son compte. On peut lui reprocher de n’avoir pas davantage ouvert le spectre de sa bibliographie à l’historiographie étrangère et, plus encore, à bien des auteurs qui ont croisé l’anarchie sur leur chemin, même s’ils n’en firent pas le cœur de leur recherche. Comment, d’ailleurs, enfermer la famille anarchiste dans un périmètre strictement délimité? V. Bouhey le reconnaît lui-même : moins encore que toute famille politique, l’anarchie ne se laisse définir par une seule équation. L’« identité anarchiste » est on ne peut plus problématique. Ici réside sans doute le cœur de la démonstration de V. Bouhey. La palette de l’anarchisme français est extrêmement contrastée. Plusieurs séquences chronologiques sont à mentionner, où coexistent des cultures politiques individualistes ou communistes : les années 1880 durant lesquelles s’esquisse le mouvement, les glorieuses et tragiques années 1892-1894 où s’engrènent terrorisme ciblé et dure répression, l’investissement syndical des années 1895-1900, l’éparpillement des années 1900. Pour chacun de ces moments, V. Bouhey analyse les pratiques militantes propres aux anarchistes et en esquisse une sociographie sommaire.

Sur l’échelle temporelle à laquelle s’est attaché l’ouvrage, quelques caractères communs l’emportent qui distinguent les anarchistes des socialistes. Les premiers apparaissent comme l’une des branches radicalisées des seconds. Le recours à la violence est...

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