In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Esclaves et maîtres. Les mamelouks des beys de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880 by M’hamed Oualdi
  • Thomas Glesener
M’hamed Oualdi
Esclaves et maîtres. Les mamelouks des beys de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880
Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, 499 p.

L’histoire des captifs chrétiens en terre d’Islam a souvent servi à entretenir l’idée d’un affrontement permanent entre les deux rives de la Méditerranée. En effet, ces hommes et ces femmes, capturés par les corsaires maghrébins du XVIe au XIXe siècle, ont fait la délectation des partisans du choc des civilisations, tant d’hier que d’aujourd’hui. L’accent mis sur la « traite des Blancs », selon l’expression mise au goût du jour par l’islamophobie savante, a occulté bien des aspects de ce phénomène, en particulier le caractère réciproque des captures et du commerce des captifs, ainsi que les processus d’intégration de ces prisonniers dans les sociétés locales, en Islam comme en Chrétienté.

À la lumière de l’histoire des mamelouks des beys de Tunis, c’est de l’intégration sociale et politique des captifs que traite l’ouvrage de M’hamed Oualdi. À la différence d’une longue tradition historiographique qui privilégie l’espace méditerranéen et les sources consulaires européennes, ce livre étudie les serviteurs du bey in situ, grâce aux archives tunisiennes, en les inscrivant dans la dynamique complexe des relations politiques à l’intérieur et à l’extérieur du sérail. Il démontre ainsi, contre les idées reçues, que l’histoire des sociétés maghrébines peut être écrite à partir des sources locales, que celles-ci sont abondantes et d’une grande richesse pour qui sait les lire et les interroger.

La pierre angulaire de l’ouvrage consiste à desserrer l’étau interprétatif dans lequel ont été enfermés les mamelouks, en montrant qu’aucune des figures-types qui leur sont traditionnellement associées (esclave, chrétien renégat, Turc) n’épuise la diversité des cas individuels. Ainsi, la variété des rangs et des statuts, des positions très modestes aux plus hautes fonctions de l’État, mais aussi la diversité des origines, des Caucasiens aux Tunisois autochtones, relativisent fortement l’image attendue du mamelouk comme esclave chrétien. Ce qui définit le mamelouk est donc moins sa provenance extérieure que le brouillage des origines, afin de permettre une refondation de la parenté non plus sur la base du sang, mais par la relation de fidélité et de protection qui unit le maître et son serviteur. Quant au statut servile, il n’est qu’une forme particulièrement exacerbée d’expression de la dépendance des serviteurs à l’égard de leur maître, les privations engendrées par cette dépendance étant la condition et la promesse d’une ascension sociale rapide. Ainsi, avec M. Oualdi, l’histoire des mamelouks trouve son contexte approprié non plus dans une histoire des traites ou de la captivité en Méditerranée, mais bien dans l’histoire sociale et politique du beylicat de Tunis. [End Page 240]

L’ouvrage s’organise autour d’un diptyque dont le premier volet propose une relecture de l’évolution du pouvoir beylical entre le XVIIe et le milieu du XIXe siècle, à partir des moments d’essor et de repli du corps des mamelouks. L’enjeu n’est pas mince puisque l’auteur s’attaque à un lieu commun de l’historiographie coloniale et postcoloniale de la Tunisie, qui veut que la présence des mamelouks ait empêché la participation des autochtones au pouvoir politique, ce qui aurait privé les institutions étatiques d’une forte assise sociale. Ainsi, la rivalité entre les groupes ethniques, l’opposition entre l’étranger et l’autochtone, entretenues par le pouvoir beylical, auraient tenu lieu de dynamique fondamentale de l’histoire tunisienne. Or M. Oualdi conteste cette interprétation, en particulier la position d’extériorité assignée aux mamelouks...

pdf

Share