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  • Penser et gouverner le Nouveau Monde au XVIIe siècle. L’empire de papier de Juan Díez de La Calle, commis du Conseil des Indes by Guillaume Gaudin
  • Boris Jeanne
Guillaume Gaudin
Penser et gouverner le Nouveau Monde au XVIIe siècle. L’empire de papier de Juan Díez de La Calle, commis du Conseil des Indes
Paris, L’Harmattan, 2013, 384 p.

Siégeant à Madrid, le Conseil des Indes a régné sur les vice-royautés de Nouvelle-Espagne [End Page 232] et du Pérou, c’est-à-dire des Caraïbes aux Philippines, pendant les trois siècles de l’époque moderne. Mais un tel ressort d’autorité est-il crédible à cette époque? Les recherches doctorales de Guillaume Gaudin avaient choisi un « personnage secondaire de l’histoire », Juan Díez de La Calle, commis du secrétariat de la Nouvelle-Espagne du Conseil des Indes de 1624 à 1662, pour tenter d’explorer de l’intérieur la machine administrative qui cherchait à unir les deux continents. L’ouvrage qu’il en a tiré poursuit ce pari et rejoint une tradition historiographique qui a déjà fréquemment porté ses fruits, depuis le Menocchio de Carlo Ginzburg et le cardinal Gabriele Paleotti de Paolo Prodi. La petite histoire, celle d’un infra-letrado (selon l’expression de Jean-Marc Pelorson) qui réussit à se hisser jusqu’au plus haut poste que son statut social lui permettait d’atteindre, éclaire la grande histoire du fonctionnement interne d’un monstre administratif, qui mélangeait autorités civile et ecclésiastique afin de soulager le roi dans son labeur de nomination et de redistribution du pouvoir à l’échelle d’un continent entier, le Nouveau Monde.

Cet ouvrage vient à sa manière, c’est-à-dire sans le prétendre mais en y parvenant irrésistiblement, combler un considérable manque historiographique concernant le Conseil des Indes, institution de 1524 qui n’a pas été abordée de front quasiment depuis Ernesto Schäfer1. L’historiographie castillane ne s’y risquait que par le biais de l’histoire du droit indien (José Maria Ots Capdequí, Juan Manzano Manzano, Francisco Cantelar Rodríguez), ou de l’histoire de la polysynodie mise en place par les Habsbourg (Gildas Bernard, Alfonso García-Gallo, Feliciano Barrios, Manuel Rivero Rodríguez), à l’exception notable de Christian Hermann, qui a analysé le Conseil à travers sa gestion du patronage ecclésiastique des Indes, et de Carlos Alberto González Sánchez, qui s’est intéressé aux liens entre culture écrite et expansion atlantique. En décrivant avec précision « Le labeur quotidien d’un commis du Conseil des Indes » et « L’atelier Díez de la Calle », G. Gaudin revisite en caméra subjective l’ensemble des bureaux dévolus au Conseil dans l’Alcazar de Madrid, sans tomber dans le piège qui consisterait à se limiter à la liste des fonctionnaires les plus prestigieux : à la porte des bureaux des conseillers se massent les commis, à la porte des bureaux des commis se massent tous ceux qui ont quelque chose à réclamer au Conseil.

Recréer ce petit monde avec acuité est un tour de force archivistique. Le parallèle entre l’auteur et son objet est alors évident, puisque ce qui fait la réputation de Díez de La Calle est son habileté à saisir, ajuster, réduire les montagnes de papier qui arrivent au Conseil, ce que l’on appelle le manejo de papeles – et ce qui fait le mérite de l’historien est de s’être confronté lui aussi à ces archives nombreuses et parfois austères, à Séville, Madrid et Mexico, afin de les proposer dans une synthèse révélant tout leur intérêt. Il s’agit donc aussi d’une histoire de l’information dans les sociétés du passé, à une époque où se multiplient les archives mais aussi les distances : avec les moyens de la lettre et de la liste, comment s’informer sur les espaces ultramarins? Déjà, à l’époque du « roi paperassier » Philippe II, c’était une visite du Conseil des Indes, menée par Juan de Ovando, qui avait r...

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