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  • Le pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté by Arlette Jouanna
  • Robert Descimon
Arlette Jouanna
Le pouvoir absolu. Naissance de l’imaginaire politique de la royauté
Paris, Gallimard, 2013, 436 p.

Le ton est juste, le propos clair, la réflexion nuancée. Cet ouvrage traite d’un vieux problème historique – la nature politique du régime monarchique à l’époque moderne –, mais l’interprétation en est renouvelée par la lecture originale d’une riche moisson de textes, dont Arlette Jouanna a une connaissance sans pareil. La thèse que défend ce livre se laisse facilement résumer : l’historien se trompe en voulant faire remonter le « pouvoir absolu » des rois de France aux débuts de la Renaissance (au règne de François Ier). C’est la tragique expérience des guerres de Religion qui fonda les bases d’une transformation discrète, mais irrésistible, de l’imaginaire monarchique : sous Henri IV, le pouvoir absolu est devenu la norme, alors que, jusqu’à Henri II, il était conçu comme une exception ne rompant que momentanément avec les formes « ordinaires » de l’exercice du pouvoir.

Le cosmos politique dans lequel se déployait l’action des Valois se référait à une interprétation thomiste du monde où un ordre providentiel assurait la continuité : à l’origine était la loi divine, dont découlait la loi naturelle où s’enracinait le droit proprement humain. L’éclatement de l’ecclesia médiévale en deux confessions, puis en deux Églises, rendit inappropriée cette représentation du monde déjà ébranlée par la découverte des civilisations amérindiennes et les progrès du scepticisme. La loi devint purement positive et même opportuniste ; son lien avec les fins dernières de l’existence s’obscurcit presque définitivement. Le monde politique se désenchanta et les conceptions corporatives qui structuraient les relations humaines ne trouvèrent plus d’application dans le régime monarchique, dont la tête ne partagea censément plus les fonctions de gouvernement avec les magistrats, ces yeux et ces mains des princes qui formaient avec eux un corps « politique » ou « mystique », partageant collectivement les lumières divines. Pourtant on n’assistait nullement à une désacralisation du politique. Le « paradoxe de l’État » réside là : c’est parce qu’il resta malgré tout religieux que l’État put entrer dans un processus d’autonomisation au XVIIe siècle1. Le droit divin laïc voyait dans la personne du roi l’intercesseur principal entre les Français et le Ciel ; cet étrange droit divin congédiait le rôle intégrateur de l’Église, qui avait permis, depuis le XIIIe siècle, de penser le lien social à travers le dogme du corpus Christi. L’Église gallicane, corps social parmi d’autres, était désormais dans l’État, bouleversement dont les conséquences furent à long terme immenses.

Cette évolution n’était pas fatale : des voies alternatives furent proposées au temps des conflits religieux, en particulier par les monarchomaques protestants, puis par les catholiques radicaux qui, tous, espéraient, selon des [End Page 215] visées différentes, que le renforcement des états généraux et des corps intermédiaires de magistrats fonderait l’autorité royale sur une base « constitutionnelle » (finalement, quelque chose comme les checks and balances à l’anglaise). A. Jouanna consacre de magnifiques pages à cette nouvelle philosophie politique que la République de Jean Bodin vint contredire en produisant une théorie rationnelle de la souveraineté étatique (quoique Bodin n’ait nullement compté parmi les esprits rationalistes !). Mais d’autres perspectives d’analyse s’offrent aussi aux historiens : ne néglige-t-on pas quelque peu la radicalité révolutionnaire du message calviniste à ses origines? Sommes-nous bien d’accord sur ce que les politiques et mêmes les juristes de ce temps entendaient dire quand ils parlaient de loi? La loi dont discourait Michel de L’Hospital n’était-elle pas par excellence l’édit de Pacification? De fait, la législation royale, à cette époque, n’organise encore que des aspects peu nombreux de la vie civile des...

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