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Reviewed by:
  • Fortuna. Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance by Florence Buttay-Jutier
  • Jean-François Dubost
Florence Buttay-Jutier
Fortuna. Usages politiques d’une allégorie morale à la Renaissance
Paris, Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2008, 556 p. et 8 p. de pl.

Écrit avec la rigueur et la modestie des grands érudits, rédigé dans une langue claire, élégante et variée, Fortuna est par son objet, sa méthode et ses conclusions l’un des ouvrages les plus stimulants récemment consacrés à la Renaissance. Étayée par une bibliographie fondée sur des sources embrassant tous les types de documents exploitables, l’étude interroge les représentations textuelles et iconographiques de l’allégorie de la fortune, en Italie et en France, entre le milieu du XVe et la fin du XVIe siècle. Combinant une approche inspirée par les travaux de Luc De Heusch et de Gilbert Dagron avec une démarche de type iconologique – même si l’auteur se révèle plus proche de Johan Huizinga que d’Aby Warburg, Edgar Wind ou Rudolf Wittkower – qui contextualise toutes les occurrences de l’image avec une remarquable précision, Florence Buttay-Jutier décrasse Fortune du vernis sur-interprétatif et anachronique qui la rendait méconnaissable.

Fortune est, depuis le Ve siècle, déclassée du rang de déesse à celui de simple allégorie morale, dont l’image s’enrichit tout au long du Moyen Âge. Utilisée par philosophes et moralistes pour penser la nécessité et la liberté humaine, elle devient une désignation ironique de la Providence, tout en servant aussi, à partir de Boèce qui est à l’origine de son association avec l’image de la roue, à penser la place de chacun dans la société. Son iconographie ne cesse de se diversifier à partir du XIVe siècle : la bipartition droite/gauche de son vêtement, « stigmates maléfiques de la division et de la duplicité » (p. 74), renvoie à son inconstance, tandis que ses yeux bandés soulignent son rôle providentiel. Un nouveau type représentatif, qui emprunte à Vénus et à Occasion (Kairos), se constitue à la Renaissance sans faire disparaître les précédents : désormais, Fortune peut aussi être une jeune femme nue, souvent aveuglée d’un bandeau, debout sur une sphère et tenant une voile de ses mains ; chauve, elle est néanmoins dotée d’une longue mèche frontale. Dans une étude de 1907, unanimement reprise par la suite, A. Warburg pensait la voir naître avec le blason inventé pour les Rucellai dans les années 1460. Elle apparaît en réalité dès 1443, lors de l’entrée d’Alphonse le Magnanime à Naples : nouvelle, l’allégorie y est alors mal comprise, mais, dans la décennie 1490, elle s’impose à Florence, puis dans le reste de l’Italie. Elle gagne la France durant le premier quart du XVIe siècle ; dès 1568, la nouvelle figure y est considérée comme « triviale et commune ». [End Page 212]

Contrairement à ce que pensait A. Warburg, la Fortune renaissante n’est pas une image « authentiquement antique » (p. 92) qui, ressuscitée par l’humanisme, serait venue s’opposer à des représentations traditionnelles, signalant ainsi un changement de « mentalité ». C’est une image récente, certes forgée à partir d’éléments antiques mais dont l’association fait sens en rencontrant la culture chrétienne. Ainsi, la convergence entre les figures de Vénus et d’Occasion est permise par une nouvelle conception du temps chrétien, que le catholicisme flamboyant développe en lien avec l’invention de l’horloge : moines et religieux mendiants sont alors amenés à percevoir le temps comme une succession d’instants qui sont autant d’occasions que le chrétien doit saisir pour les consacrer à son salut. On est fort loin d’un « temps marchand » sécularisé, imaginé par Jacques Le Goff. F. Buttay-Jutier restitue ainsi à l’allégorie une valeur morale et religieuse essentielle, ce qui conduit le lecteur à s’interroger sur son sens en pays protestant au XVI...

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