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Reviewed by:
  • Emperor of the World: Charlemagne and the Construction of Imperial Authority, 800-1229 by Anne A. Latowsky
  • Martin Gravel
Anne A. Latowsky
Emperor of the World: Charlemagne and the Construction of Imperial Authority, 800-1229
Ithaca/Londres, Cornell University Press, 2013, XIV-290 p.

Charlemagne tient une place cardinale dans l’imaginaire politique médiéval. Son personnage a été réinterprété au fil des siècles selon les causes qu’il était appelé à soutenir. Cette matière complexe fait rarement l’objet d’études ciblées. Par conséquent, certaines hypothèses se sont trop vite transformées en certitudes. Anne Latowsky s’interroge sur la validité d’une de ces certitudes les mieux enracinées, selon laquelle la figure de Charlemagne a été utilisée pour élaborer l’idée de croisade et nourrir la ferveur des croisés. Il lui semble au contraire que les récits de ses rapports à Constantinople, Bagdad et Jérusalem ont formé un thème qui a été adapté pour servir aux empereurs dans leurs luttes contre les papes de la Réforme grégorienne. Son livre étaie cette réplique stimulante, en suivant les historiographes latins associés à l’Empire.

A. Latowsky ouvre son propos avec la Vita Karoli d’Eginhard, où sont posés la plupart des motifs encomiastiques qui serviront à décrire les rapports de Charlemagne avec la Terre sainte et les princes de l’Orient. Ce faisant, Eginhard réinterprétait une matière antique propre à l’éloge des empereurs romains. Ainsi tracée, la figure de Charlemagne paraît plus ancienne que le personnage lui-même. C’est d’ailleurs une des premières qualités de ce livre que d’aborder les chroniques avec une préoccupation équilibrée pour le contexte de leur composition et pour la tradition d’écriture dont ils sont tributaires. Le deuxième jalon important est posé au Xe siècle, lorsqu’un moine du Mont-Soracte forge le récit d’un voyage oriental de Charlemagne. À la fin du XIe siècle, un chroniqueur lié à l’abbaye de Saint-Denis s’en inspire pour composer une translation des reliques du Christ par l’initiative de Charlemagne, la Descriptio clavi et corone Domini, dont l’influence pèse sur toute l’historiographie postérieure.

De là, A. Latowsky se consacre à l’interprétation par les historiographes fidèles aux empereurs germaniques du thème de « Charlemagne et l’Orient » élaboré depuis Éginhard. La Réforme grégorienne, les croisades, la querelle des Investitures et les guerres italiennes forcent le renouvellement de la légitimité impériale. A. Latowsky montre comment Benzon d’Albe fait intervenir Charlemagne dans ses livres pour Henri IV afin de répliquer aux prétentions des promoteurs de la suprématie pontificale en faveur d’une conception de l’Église guidée par l’empereur, mais également afin d’aider Henri IV à surmonter ses difficultés à s’imposer en Italie. Ces préoccupations réapparaissent un siècle plus tard, dans les ouvrages polémiques composés à la cour de Frédéric Barberousse. L’archichancelier Rainald de Dassel y dirige un programme d’écriture et de falsification visant à mobiliser en faveur de son maître la figure de Charlemagne en Orient. Ses efforts culminent en 1165, lors de la canonisation du Carolingien à Aix-la-Chapelle.

Au fil des XIe et XIIe siècles, Charlemagne sert de modèle pour la fonction impériale. Cette personnification dépend de la représentation de ses rapports à l’Orient, où il aurait obtenu des victoires sans effusion de sang, où les nations étrangères se seraient soumises à lui, d’où il aurait reçu des ambassades qui témoignaient de sa supériorité sur le basileus et de sa domination sur la Terre sainte. Charlemagne sert parfois à évoquer le motif apocalyptique du dernier empereur, donc à faire des empereurs régnants les nouveaux dépositaires de cette ultime responsabilité. Par sa capacité à conquérir dans la paix et à attirer les peuples à lui, par son protectorat des lieux saints et la réalisation de la translatio imperii, il incarne la fonction de l...

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