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  • A Partir d’une Pensée de Novalis / Starting Out from Novalis
  • Jean-Christophe Bailly (bio)
    Translated by Ben Garceau (bio)

A Partir d’une Pensée de Novalis

En relisant la traduction des Disciples à Saïs je suis tombé sur ces formulations dont je me demande bien comment elles avaient pu m’échapper et que je reproduis ici en petites capitales, tant elles me semblent importantes, troublantes et novatrices : « La somme de ce qui nous touche, on l’appelle la nature » et, plus loin: « La nature est cette communauté merveilleuse où nous introduit notre corps. » Vérification faite dans le texte originel [was uns rührt, nennt man die Natur puis so ist die Natur jene wunderbare Gemeinschaft, in die unser Körper uns einführt], il s’avère que l’ouverture intégrale proposée par la réunion des termes ainsi choisis vient bien, intégralement, de Novalis.

Ouverture intégrale parce qu’est destituée aussitôt la lourde tradition séparant comme à la parade un sujet et un objet supposés ne jamais vraiment coïncider. A cette séparation ou à cet éloignement s’oppose d’emblée l’affirmation heureuse, enthousiaste, d’une communauté. Mais cette communauté (et il était vraiment nécessaire de vérifier que c’était bien de cela, bien d’une Gemeinschaft qu’il était question dans le texte allemand) n’est pas celle, encore abstraite, des hommes et de la nature, elle repose tout entière sur des seuils que le corps franchit, sur des enclenchements qu’il rend possibles : le corps (notre corps, le corps de chacun d’entre nous) est ce qui nous [End Page 116] introduit dans la nature, celle-ci n’est pas seulement devant nous ou autour de nous, elle est en nous, tout à la fois animée et vécue par le moteur de notre corps. Les « chemins divers » par lesquels vont les hommes (c’est par leur évocation que s’ouvrent, inoubliablement d’ailleurs, Les Disciples à Saïs) sont des chemins parcourus, des chemins que le corps accomplit par la marche et par les sens : on marche dans la nature, on naît dans son surgissement constant, on n’est que ce contact qui avance en se déployant en une infinité de touches.

La marche, ainsi conçue, est aussi la démarche, l’allant et le suivi de tout parcours possible. Dans la masse des fragments par lesquels s’essaime son projet d’encyclopédisation, Novalis définit ainsi ce mouvement : « La représentation du monde interne et celle du monde extérieur se constituent parallèlement—en avançant—comme le pied droit et le pied gauche—mécanisme significatif de la marche. »2 Ainsi, on peut l’induire sans difficulté, le monde interne et le monde extérieur, le dedans et le dehors de l’homme se retrouvent dans une alternance rythmique constante, fondée sur un contact permanent. Lisant cela, et le répercutant, on voit aussitôt « l’homme qui marche » et non celui de Rodin ou de Giacometti, trop solennels, trop pesants, mais le sujet (oui !) perpétuellement ému d’une passeggiata qui dure aussi longtemps que dure sa vie, son passage sur terre. Ce serait une vidéo parmi tant d’autres, mais peut-être lente et panoramique, avec quelqu’un qui vient ou qui s’en va, ou qui passe (pour autant, aussi, qu’on le laisse tranquille—ce qui n’est pas toujours le cas, c’est le moins qu’on puisse dire).

Il est devenu commun de dire que l’homme moderne, l’homme des villes a ou aurait perdu tout contact avec la nature. Et c’est devenu aujourd’hui presque un réflexe de dire que la nature est en vérité introuvable et que non seulement partout des voiles—universellement différents—nous en séparent mais qu’elle est de surcroît une sorte d’illusion et qu’elle n’existerait par conséquent que comme la pure facticité d’une antériorité supposée. Or cette vulgate (dérivée en partie d’une simplification de la pensée de Michel Foucault), en...

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