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  • Le modèle de la commune rurale dans la pensée française (1840–1850) : un trait du « génie slave » ?
  • Marion Moreau (bio)

« Comme une source d’eau vive tire ses parties composantes, ses propriétés et son goût des matières qu’elle traverse dans son cours, de même le caractère primitif d’une nation dérive de ses traits de famille, de son climat, de son genre de vie, de son éducation, de ses premiers efforts, de ses occupations habituelles1» : c’est en ces termes que Herder définit le caractère national au livre XII de ses Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité. Cette citation permet de mettre en exergue deux aspects essentiels de ce que le philosophe allemand appelle Nationalcharakter, Charakter der Nation ou encore Charakter der Völker et que Quinet traduit indifféremment par caractère ou génie national : le premier de ces traits tient à la primitivité de ce caractère, c’est-à-dire à sa nature originelle, qui n’exclut pas cependant son évolution possible sous l’effet de l’histoire. Herder parle ainsi de « génie natif ou accidentel des peuples2 », établissant de ce fait une distinction entre ce qui relève d’une supposée nature primitive et ce que l’histoire fait advenir. Le second aspect qui mérite d’être souligné a trait à la diversité des facteurs qui se trouvent convoqués par Herder pour déterminer la nature de ce génie : ces facteurs sont à la fois d’ordre climatique, politique, social et historique, et font donc référence tout aussi bien au paradigme naturel qu’au modèle culturel, selon une conception qui doit sans doute beaucoup à Montesquieu3. Cette citation liminaire témoigne donc, à tout le moins, de la nature complexe et relativement indéterminée du caractère national. [End Page 139]

Si la notion de caractère national est d’un usage délicat, c’est aussi parce qu’elle est bien plus souvent convoquée pour penser l’étranger que pour se définir soi-même : le caractère relève donc d’une vision exogène qui, comme l’a montré Marc Crépon dans ses Géographies de l’esprit4, est susceptible de recourir à la généralisation et à la réduction : il s’agit d’octroyer des attributs reconnaissables à des individus et de subsumer la diversité sous des caractéristiques communes. Le cas de la représentation des Slaves qui se dessine dans les écrits français des années 1840 et 1850 illustre bien ce modèle de l’imposition d’un regard extérieur sur une réalité autre, en l’occurrence une famille de peuples partageant une origine commune qui trouverait à s’incarner dans ses langues (les dialectes ou idiomes slaves étant rapportés à une langue primitive commune, le slavon), sa position géographique (l’Europe centrale et orientale), ainsi que dans ses coutumes et ses mœurs – pour reprendre la terminologie de l’époque visant à désigner une culture perçue comme primitive. Le recours à la caractérisation chez les auteurs français passe par la mention de traits psychologiques et moraux censés résumer les caractères dominants de ces peuples : la ténacité5, l’impétuosité6, le pacifisme7, l’hospitalité8, l’éloquence9, le charme10, mais aussi la résignation face à l’adversité11, l’imprévoyance12, la mollesse morale13 ou encore la mélancolie14 sont quelques-unes des qualités attribuées aux Slaves dans les études savantes, les essais politiques et les fictions de l’époque. Le portrait physique réputé traduire un type national participe également du processus de caractérisation des peuples, surtout lorsqu’il est rapporté à une logique qui entend faire du corps le reflet des dispositions de l’âme ; il est, sur ce point, intéressant de noter que les textes de notre corpus ne recourent que rarement à l’évocation de traits physiques partagés. Il semble donc que les Slaves soient bien davantage appréhendés comme une entité culturelle et historique que...

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