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  • L’approche anthropologique du caractère national chez Wilhelm von Humboldt
  • Anne-Marie Chabrolle-Cerretini (bio)

La seconde moitié du XVIIIe siècle est marquée, entre autres, par des questionnements sur les caractères nationaux, que l’approche soit philosophique, psychologique, sociologique ou littéraire. Au tournant de la fin du XVIIIe-début XIXe, Wilhelm von Humboldt (1767–1835) participe à ce débat et entend mener une anthropologie comparée des groupes humains.

Pour entrer dans l’originalité de sa proposition anthropologique, il est intéressant de la situer dans le parcours intellectuel du philosophelinguiste allemand entre 1789 et 1798. Non pas que Humboldt ait renié quoique ce soit de ses premiers travaux, mais plutôt parce que ce projet de caractérisation des nations est une réponse datée aux interrogations qu’il se pose pendant cette période. Si les principes fondateurs de sa pensée scientifique sont déjà tous là, ils vont par la suite s’affiner davantage et prendre surtout un cours tout à fait original qui est celui d’une linguistique générale puisque c’est la langue qui va être distinguée puis théorisée comme la particularité humaine la plus à même à caractériser une nation.

Les textes qui réfèrent directement au caractère national sont écrits entre 1796 et 1798. Il s’agit de : Le dix-huitième siècle et du Plan d’une anthropologie comparée. Les deux textes s’avèrent indissociables tant leur contenu est proche. En effet, Le dix-huitième siècle n’est pas une caractérisation du siècle contrairement à ce que laisse croire son titre, mais un développement des principes théoriques et méthodologiques [End Page 55] fondamentaux de cette nouvelle recherche présentée dans le Plan qui ne sera que très partiellement réalisée. Trois autres textes écrits sur le rôle de l’Etat autour de 1792 méritent d’être signalés : Idées sur les constitutions, Essai sur les limites de l’État et Les lois de la croissance des forces humaines.

La posture intellectuelle de Humboldt peut être synthétisée en plusieurs points :

  1. 1. Il est assez proche de Goethe et Schiller. Il partage avec le premier les idées sur les rapports entre l’homme et l’univers : l’homme vit dans le monde avec lequel il interagit à l’instar des plantes.

  2. 2. Il rejoint Schiller sur l’idée que l’homme est un corps et une âme à concilier harmonieusement. C’est d’ailleurs à cet enjeu que Humboldt va subordonner son idéal politique. La thèse principale qu’il défend est celle d’un minimum d’État en charge exclusivement de garantir le droit naturel des individus à la liberté.

  3. 3. Humboldt se situe lui-même par rapport à Kant qui s’apprête en 1798 à publier son Anthropologie du point de vue pragmatique où est définie l’anthropologie comme :

    Une doctrine de la connaissance de l’homme, systématiquement traitée (anthropologie), peut l’être du point de vue physiologique ou du point de vue pragmatique. La connaissance physiologique de l’homme tend à l’exploration de ce que la nature fait de l’homme ; la connaissance pragmatique de ce que l’homme, en tant qu’être de libre activité, fait ou peut et doit faire de lui-même.

    (Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, traduit par M. Foucault, 1994, p. 11).

En s’appuyant sur les propos mêmes de Humboldt, nous pouvons avancer que contrairement aux post-kantiens qui voudront corriger le criticisme, Humboldt va le prolonger et bâtir à partir de lui. Dans une lettre qu’il adresse le 19 novembre 1793 au grand ami de Schiller, Christian Gottfried Körner, rencontré deux mois plus tôt, Humboldt fait le constat qu’une recherche nouvelle portant sur l’homme s’impose. Selon lui, elle possède déjà son fondement philosophique, le criticisme, mais elle doit nécessairement intégrer tous les savoirs nouveaux, nés des recherches empiriques, les relier, les classer et les organiser systématiquement. Cette nouvelle recherche, c’est...

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