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  • L’étrange destin des femmes dans L’étrange destin de Wangrin
  • Aïssata Sidikou

L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain (1973) d’Amadou Hampaté Bâ fait écho à beaucoup de textes du genre Une vie de boy (1956) de Ferdinand Oyono ou Le pauvre Christ de Bomba (1956) de Mongo Béti sortis de l’expérience coloniale. Ces textes ont pour point de départ le thème du destin des colonisés, des colonisateurs, et de leurs vies quotidiennes durant leur aventure commune liée à la rencontre historique du dix-neuvième siècle entre l’Afrique et l’Europe. Ce thème lui-même n’est probablement pas sans lien avec la vie de l’historien, écrivain, ethnologue, poète, et conteur malien, Hampaté Bâ, grand défenseur et pionnier encensé de la tradition orale qui, pendant toute sa vie d’adulte en tant qu’instituteur et interprète, à travers l’Afrique occidentale française (ou aof), avait vécu l’évidence de la diversité, des contradictions, et de la forte osmose dans le contexte du système colonial.

L’étrange destin de Wangrin est l’histoire authentique, selon Bâ, d’un enseignant, interprète et commerçant Bambara1 qu’il a rencontré en 19122 durant la période coloniale. À cause de sa ruse et de ses stratagèmes, Wangrin “osa rouler les ‘dieux de la brousse,’ Messieurs-les-administrateurscoloniaux qu’il rencontra sur son chemin” (9). Il arrive ainsi à déjouer les lois et les règles du système colonial, établissant des contacts importants auprès des détenteurs de pouvoir (chefs traditionnels et administrateurs coloniaux), mais aussi avec les faibles. On est notamment frappé de constater que, dans ce périple semé d’anecdotes, d’imbroglio et de ridicule se révèlent des relations et des attitudes complexes que les peuples africains ont été poussés à partager avec les colons. L’étrange destin de Wangrin est donc plus qu’un roman; c’est une étude dans le contexte d’une Afrique colonisée et d’un système colonial dépeints dans leur complexité et dans une certaine objectivité.3 [End Page 127]

Innovant par rapport à l’histoire de Wangrin et à l’Histoire, l’auteur choisit donc de placer au centre de son œuvre et de son intrigue ce personnage, au nom d’emprunt, homme intelligent, ingénieux et fourbe, jamais à court d’expédients, qui se met fortement en danger dans le contexte colonial français du dix-neuvième siècle et dans un système ethno-casteiste tout en s’imposant une vocation à défendre les causes perdues, protégeant les faibles et les déshérités car béni par son fabuleux dieu tutélaire bambara, Gongoloma-Sooké, grand confluent des contraires. Pour Bâ, l’histoire de Wangrin ne peut être accomplie sans établir le rôle qu’ont joué les femmes dans son ascension et/ou sa chute. Certains critiques4 ont appliqué des perspectives rigoureuses dans l’étude de l’œuvre d’Amadou Hampaté Bâ, mais aucune de ces perspectives n’a eu à cerner la complexité des rapports homme-femme comme thématique durant l’exploitation coloniale. Aussi, même si plusieurs travaux ont jalonné la réflexion sur la condition des femmes pendant la colonisation,5 aucun ne s’est penché sur les rapports qu’établit Bâ entre les femmes (noires et blanches) et Wangrin.

Dans le présent essai, nous nous intéresserons aux procédés ou ensembles de procédés discursifs que met en œuvre Hampaté Bâ pour établir l’histoire du personnage principal, et en particulier, nous nous intéresserons à l’un de ces procédés qui est de souligner, de façon comparative, la particularité de la problématique d’adoption et/ou de mutation de différentes structures d’oppression de la femme6 et de l’exploration de la dynamique de l’exploitation de son corps que présente le narrateur. L’essai abordera les différences et les ressemblances de ces femmes (noires et blanches), et insistera notamment sur la réification et la nullification du...

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