- Journal des Goncourt, III : 1861 à 1864 by Edmond et Jules de Goncourt, ed. by Christiane et Jean-Louis Cabanès
Depuis la parution des premiers extraits du Journal des Goncourt au dix-neuvième siècle, les lecteurs ont eu droit à plusieurs éditions plus complètes. Les neuf volumes de l’édition publiée entre 1887 et 1896 chez Charpentier ont été republiés en 1935–37; par la suite, Robert Ricatte a établi et annoté un nouveau texte intégral, publié chez Fasquelle et Flammarion en 1956; c’est cette édition qui paraît en trois volumes (1851–65, 1866– 86, 1887–96) chez Laffont en 1989 au sein de la collection ‘Bouquins’. Le présent ouvrage est le troisième tome d’une nouvelle édition critique préparée sous la direction de Jean-Louis Cabanès avec la collaboration de nombreux chercheurs français, [End Page 403] spécialistes en lettres, en arts et en culture, et traite les années 1861–64 (les deux premiers tomes couvrent les années 1851–57 et 1858–60). Comme ce sont de véritables années charniè res dans l’évolution des Goncourt en tant que romanciers, les pages du Journal débordent d’anecdotes et d’observations, ‘documents humains’ qui ressurgiront plus tard dans Germinie Lacerteux (1865), Madame Gervaisais (1869) et La Fille Élisa (1877) (retenons, entre autres, les conversations avec leur maîtresse, Maria, et, surtout en 1862, des observations sur l’état des prisons françaises et des détails sur la vie de leur servante, Rosalie Malingre). Y figurent aussi des ‘biographies parlées’ (p. 28) de leurs amis (par exemple, Flaubert, Saint-Victor, Sainte-Beuve, la princesse Mathilde Bonaparte) et des commentaires sur certaines grandes oeuvres littéraires de l’époque (par exemple, Salammbô et Les Misérables). Les années 1861–64 sont également importantes dans l’évolution du Journal comme tel, car, comme le remarque Cabanès dans son Introduction, c’est en 1862 que ‘le Journal est présenté, pour la première fois, comme un “livre”’ (p. 20). Non seulement le présent ouvrage permet-il de distinguer entre l’écriture de Jules et d’Edmond (celle de Jules domine), il signale les différences éditoriales entre cette édition et celle de Ricatte. Cabanès se veut fidèle au manuscrit et non pas aux éditions précédentes, et cette volonté se manifeste surtout dans la disposition des alinéas, dans la chronologie qui n’est pas toujours chronologique, dans les passages restitués et dans les notes sur les ratures. Par ailleurs, ce troisième tome comporte deux volumes: le premier contient le Journal intégral lui-même; le deuxième contient la version du Journal que les pairs d’Edmond ont pu lire en 1887, ainsi que quatre index (de personnes et de personnages, de noms de lieux, de journaux et périodiques, des oeuvres) et un répertoire de noms. Quoique le répertoire risque de se répéter au cours des années au fur et à mesure que les tomes suivants sortent, c’est un outil indispensable pour mettre en contexte l’oeuvre et les événements et personnages qui y sont traités. Qui plus est, le fait que le deuxième volume comporte le Journal de 1887 permettra d’éventuelles études portant sur la censure (voire l’auto-censure), la génétique textuelle, ainsi que l’histoire du livre.Même si le prix de ce troisième volet de l’édition critique assure que ce sera toujours l’édition de Ricatte qu’on retrouvera dans la bibliothèque des chercheurs appauvris et des lecteurs non-spécialistes, il n’y a aucun doute que l’édition de Cabanès sera l’objet de convoitise des spécialistes et des bibliothèques institutionnelles.