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POESIE 51 setout to explore still resist the younger writers. Yet poets like Dudek and Souster must also derive a sense of satisfaction from seeing that the language of poetry remains so quickeningly alive in younger hands. Since it has proved impossible to cite all the fine volumes published over the last year, it is fitting to conclude by mentioning two promising new poets. Carla Hartsfield in The Invisible Moon (Signal, 89, $9.95 paper) and Patricia Keeney in swimming alone (Oberon, 96, $21.95; $10.95 paper) continue to push out the boundaries of the individual, exploring the ways in which people develop within the constraints of biology, history, and language. Keeney portrays how 'the endless flirtation I of wave and shore slowly draws us I into the landscape of change.' It is a well-walked landscape, but one worthy of further exploration. Poesie ROBERT YERGEAU Sans transformer cette chronique en notice necrologique, il importe d'emblee de souligner la mort de Rene Char et de Francis Ponge; celui-ci est decede en aout, celui-la en fevrier. Meme si nous apprecions la poesie de Ponge, encore que nous sayans plus sensible a des livres admirables comme les trois tomes du Grand Recueil, notre preference va a Ia poesie de Char qui nous accompagne quotidiennement. Char a marque plusieurs generations de poetes quebecois. A sa mort, Jean Royer rappelait ce qu'avait ecrit Gilles Marcotte, a !'occasion de la publication de !'oeuvre du poete dans la Pleiade: 'Aucun autre poete fran<;ais du vingtieme siecle, peut-etre, n'a eu au Quebec une presence si forte, une action souterraine , par exemple, plut6t que par !'influence et la citation - si soutenue' (Jean Royer, 'Maintenir Ia parole a hauteur d'homme. La poesie de Rene Char est une "conversation souveraine" avec le monde,' Le Devoir, 27 fevrier 1988, o 8). Certains poetes ant temoigne de !'importance de Char, notamment Jean-Guy Pilon, Madeleine Gagnon, Jacques Brault et Pierre Morency. Nous retiendrons un commentaire de ce dernier: 'La grande le<;on que je garde de rna frequentation de Char: la poesie est une ethique avant d'etre une esthetique; le travail du poete n'a rien a voir avec ce qui rallie, dogmatise, explique ou conspue' (ibid, D 8). Rene Char a mene la poesie a de nouveaux sommets de clarte exigeante; sa poesie est tout ensemble transcendance et tellurisme. Plusieurs de ses poemes nous reviennent en memoire, mais nous nous contenterons de citer cet aphorisme: 'On ne peut pas commencer un poeme sans une parcelle d'erreur sur soi et sur le monde, sans une paille d'innocence aux premiers mots.' Une poete quebecoise est aussi decedee cette annee: Eva Senecal. Nee 52 LETTERS IN CANADA 1988 en 1905, elle avait fait paraitre, a la fin des annees vingt et au debut des annees trente, quatre livres, notamment Un peu d'angoisse ... un peu de fievre et La Course dans l'aurore. Eva Senecal sut interroger les figures de I'amour et de la nature en des poemes qui, dans ses meilleurs moments, eviterent les poncifs de circonstance: 'Je suis les hauts gradins, je suis l'arene immense I Ou tousles elements se combattent entre eux.' Par ailleurs, Les Herbes Rouges ont fete, en 1988, leurs vingt ans d'existence. Pour I'occasion, la revue Lettres quebecoises leur a consacre deux entrevues: l'une avec quatre auteurs des HR (Normand de Bellefeuille , Carole Masse, Andre Roy et France Theoret); I'autre, avec les fondateurs, Fran<_;ois et Marcel Hebert. Mettons en relief quelques prises de position des interviewes. Ainsi, France Theoret soutient que 'les HR sont l'un des rares lieux qui ont conserve une vocation essentiellement litteraire, ce qui explique qu'apres vingt ans pour la revue et dix ans pour la maison d'edition, ce soit un lieu marginal. Les marginaux qui n'essaient pas de codifier leur marginalite me plaisent' (Richard Giguere et Andre Marquis avec la collaboration de Joseph Bonenfant, 'Les Herbes Rouges, 1968-1988: Persister et se maintenir ... 1 - L'ecriture en crise', Lettres quebecoises, no 51, automne 1988, 14). Pour sa part, Carole Masse s'exclame: 'Mais vous etes en presence d'ecrivains qui sont a la peripherie de !'institution' ou: 'En regard de !'institution litteraire, la production des HR equivaut au "travail au noir" dans la societe' (16). Que voila des propos qui nous jettent dans !'expectative! Selon elles, !'institution, c'est toujours les autres. Cet acharnement a se complaire dans une marginalite gratifiante ne cesse de nous etonner. Certes, si Carole Masse compare la reception de ses romans a celle des romans d'Yves Beauchemin, elle pourrait etre justifiee de parler de 'travail au noir.' Mais, il s'agit la d'un probleme entre champ de production restreinte et champ de grande production. Carole Masse est publiee (ses manuscrits sont Ius, juges et retenus par une maison d'edition subventionnee ), lue et critiquee; elle accorde des entrevues; elle participe a des colloques. Comme 'travail au noir,' il y a pire! De meme, libre a France Theoret de magnifier la marginalite des HR, comme si cette maison d'edition vivait dans le maquis litteraire, mais rappelons tout de meme que Theoret fait partie du jury de poesie du prix du Gouverneur general et que le pouvoir symbolique requis pour sieger a un tel jury, elle l'a acquis en publiant aux HR. De la marginalite institutionnalisee, passons au diagnostic que posent Fran<_;ois et Marcel Hebert eu egard ala nouvelle generation de poetes. Ainsi, selon Marcel Hebert, 'apres vingt ans de publication, apres que les principaux auteurs des HR aient eu publie dix a quinze titres et des oeuvres de maturite, il est difficile pour un jeune poete de publier chez nous. C'est arrive pour Michael Delisle, mais c'est de plus en plus improbable, parce qu'avec le temps, nous sommes de plus en plus POESIE 53 exigeants. 11 ne peut en etre autrement' (Richard Giguere et Andre Marquis, '2. Ducote de l'etonnement. Interview avec Fran<;ois et Marcel Hebert, directeurs de la revue et des editions les Herbes Rouges,' Lettres quebecoises, no 52, hiver 1988-9, 21). Imaginons la scene: les editions Gallimard refusant le manuscrit d'un jeune romancier, sous pretexte qu'il ne se comparerait pas aux romans de plusieurs illustres predecesseurs publies chez elles. Et Fran<;ois Hebert de deviser sur les malheurs de la nouvelle generation, qui serait a la merci d'editeurs peu conscients de leur role: 'La publier et ne pas la former, cette nouvelle generation, c'est facile' (21). Enfin, Fran<;ois Hebert assene !'argument ultime, devenu, depuis quelques annes, un cliche: 'Les jeunes se trouvent devant une generation qui prend beaucoup de place' (21). Par de tels propos, les freres Hebert font montre du meme aveuglement que les critiques des annees soixante-dix qui proclamaient, apres avoir lu les premieres plaquettes des HR, que la releve etait inexistante et que le salut de la poesie quebecoise passait par l'Hexagone. Que l'on nous comprenne bien: nous ne revoquons pas en doute !'apport des HR a la litterature quebecoise. Fran<;ois et Marcel Hebert ont impose, par leurs choix editoriaux, des pratiques d'ecriture qui ont remis en question la poesie quebecoise et, partant, Ia litterature. Mais ce capital symbolique acquis, et c'est ce qui nous interesse, atteste la reprise de certains mecanismes institutionnels: un groupe de production restreinte acquiert une certaine legitimite dont il se sert pour recuser toute pratique qui ne renforce nine prolonge cette legitimite. · Quai qu'il en soit, venons-en ala douzaine de titres retenus en 1988. Michel Garneau a publie, chez Guerin Iitterature et I'Age d'homme, ses Poesies completes 1955-1987, un fort recueil de 768 pages. Des ses premieres plaquettes, celles ecrites entre 1956 et 1963, le desir, I'amour et la liberte se manifestent en des poemes qui, sans meconnaitre la douleur et la hantise de la mort, prennent parti pour la beaute et un insatiable appetit de vivre. Ces poemes, que le poete rassemble, dans sa retrospective, sous le titre de 'Langage o,' mettent en scene un etre qui, au sortir de !'adolescence, delaisse l'interiorite etouffante, la sexualite tourmentee, pour celebrer, par l'entremise d'un langage deja plus familier que scolaire, plus soucieux d'oralite que d'academisme, le plaisir et la joie lucide d'etre au monde. Apres un silence de neuf ans, il poursuivra, en 1972, le cycle des Langages, avec Langage 1: Vous pouvez m'acheter pour 69rt; Langage 2: Blues des elections et Langage 3: l'Animalhumain . Suivront, en 1974, Langage 4: ]'aime la litterature, elle est utile et Langage 5: Politique ainsi que, en 1977, Langage 6: Les Petits chevals amoureux. Outre ce cycle, Moments, Elegie au genocide des nasopodes et La Plus belle fle paraitront respectivement en 1973, 1974 et 1975. Qu'il s'agisse de saisir les multiples realites geographiques, sociales, politiques, quotidiennes du pays, d'exalter I'amour charnel, de pester contre son 54 LETTERS IN CANADA 1988 emprisonnement lors de la Crise d'octobre, de reclamer l'independance du Quebec, Michel Garneau demeure fidele a son ethique: faire oeuvre de vivant. Ce qui fascine le poete, c'est le vertige d'etre au monde. Et la vie le sollicite a un point tel qu'il accepte de souffrir pour elle. C'est ainsi qu'il n'occulte nile desenchantement nile desespoir qui l'habitent, non pour s'y complaire, mais pour les transformer en raisons supplementaires de 'ri[re] dans l'eternite I au le temps [le] saigne.' De plus, homme de paroles, il en appelle a la responsabilite sociale des intellectuels et denonce les manipulateurs de langage. Ace propos, Langage 4: J'aime la litterature, elle est utile constitue une reflexion majeure sur les fonctions et les roles de l'ecrivain et de la litterature. Nous n'hesitons pas a inclure ce recueil, avec Les Petits Chevals amoureux - le maitre livre de Garneau dans le corpus restreint des oeuvres qui marquent la poesie quebecoise des annees soixante-dix. La quete renouvelee de liberte, la recherche du plaisir, l'amertume consecutive a l'echec du referendum du 20 mai 1980, le desir toujours actualise de transparence et de communication composent les grands axes de Dans la respiration du respir le cadeau, suite d'inedits qui clot la retrospective. Plus que jamais, Garneau a souci de lancer des signaux aux voyants; sa poesie deroule ses metres d'espoir, de rage, de tendresse, de bonheur et de lucidite. II en appelle a la totalite existentielle: aucune allusion aDieu au a une supraconscience. La poesie de Garneau ne privilegie ni le petit point, ni 1'ellipse, ni la litote. Le langage est familier; la parole, abondante. Une telle luxuriance langagiere contient inevitablement sa part de scories. A-t-il bien fait de tout reprendre? Peut-etre que non, mais la n'est pas la question puisque dans ses Poesies completes, il a voulu, au-dela des 'habiles singeries academiques' et des 'petites elites maigrichines,' se donner a vivre et a lire totalement. Devons-nous ajouter que la poesie de Garneau manifeste une presence necessaire? Quand nous serons (l'Hexagone, coli 'Retrospectives,' 256) regroupe les recueils suivants de Pierre Morency: Poemes de la froide merveille de vivre (1967), Poemes de la vie deliee (1968), Au nord constamment de l'amour (1969), Lieu de naissance (1973) et Torrentiel (1978). Grande pourvoyeuse d'images, abondante, foisonnante, la poesie de Morency traverse les modes poetiques, qui ant secoue le Landerneau litteraire quebecois des annees soixante-dix, avec une belle insolence. En ce sens, elle se rapproche de la poesie de Garneau. De fait, ce qui differencie Morency, Garneau et quelques autres (Pierre Perrault, Gerald Godin, etc) de la generation de poetes qui ant commence a publier vers le milieu des annees soixante, c'est que leur remise en question de la poesie passe par un surplus de clarte, voire un exces de lyrisme. Michel Garneau ecrit, en 1973, dans Moments: 'Entendez-vous je reve communicable I je reve d'envoyer des lettres a l'etre I d'ecrire a toutes les adresses I bonjour.' La meme annee, POESIE 55 Morency ecrit, dans Lieu de naissance: 'c'est ici que je me trouve et que vous etes I c'est sur cette feuille I ou je suis plus moi que dans la peau de 1'ours I ou je suis plus creux que 1'anere du chaland I et plus crieur et plus mele au monde.' Dans le contexte des annees soixante-dix, ce surcroit de lisibilite ap:parait comme une provocation a l'endroit des 'nouvelles ecritures.' A lire la retrospective de Morency, une figure s'impose: celle du jour et de ses multiples avatars, le feu, la clarte, le soleil, la lumiere, le sang. Que ce soit 'le soleil violent de [s]on cri,' 'la lumiere de durer,' 'la lumiere I en canot de feu,' 'l'ocean de lueurs,' les 'feux tranquilles,' ces metaphores tendent toutes vers 'le point du jour,' la ou 'I'evidence d'etre,' I'amour et vivre se realisent. A !'inverse, et de fa<;on un peu convenue, 'la nuit nous nuit': 'mais nos maisons nous font defaut I la nuit I nos maisons dressent des vitres lourdes entre les etres'; 'ce sont nuits affalees dans les mares I nuits de pain souille nuits de vin noir I nuits qui s'ecroulent nuits grugeantes nuits battues Inuits de marteau nuits d'enclume nuits dures.' Surgissent alors les images qui connotent la chute, avec une predilection pour la 'cave': 'voyez-le c'est un enfant bien ordinaire I on 1'a mis en laisse au fond d'une cave'; 'c'est lui ... qui me courbait dans la cave'; 'je n'etais qu'une verite limoneuse un fond de chaloupe I je tombais dans rna cave en voyage de charbon'; 'j'ai pousse sur rna vie en bafouant les ventres I j'ai rampe dans les caves ou le pere pourrissait.' Au-dela de ces quelques observations, il importe de dire que la poesie de Morency est une vaste entreprise scripturaire pour nommer, parole battante, le quotidien, pour contrer tout ce qui aliene I'amour, pour exorciser 'la douleur commune.' Perpetuelle naissance a soi, aux autres, a la femme aimee, au pays, Quand nous serons nous convie, sur un mode tant6t fraternel, tant6t tragique, 'dans un fracas de lumiere et de sang,' 'au grand desir du monde.' Avec cette retrospective, Pierre Morency a remporte le prix litteraire Quebec-Paris. Sauf erreur, Temps et lieux (l'Hexagone, 97) est le premier recueil de Roland Giguere depuis Foret vierge folle, en 1978. C'est peu de dire qu'il s'agit d'un evenement. Temps et lieux contient des poemes en vers, des notes sur la poesie et sur la peinture et des 'paroles visibles,' avatar des poemes-affiches. La poesie de Giguere reussit encore a s'imposer, en ce qu'elle fait tout naturellement, tout simplement confiance aux mots. Giguere est le poete de l'eclatement, mais avec ordre et unite. 11 ne cultive pas l'eclatement syntaxique, ni l'urgence toujours un peu derisoire du 'cri' pour en arriver a 'la nuit nouvelle' et au 'sens nouveau.' A titre d'exemple, citons 'Feu la poesie,' poeme qui, par le recours a l'anaphore eta des images qui ne se paient pas de mots, qui sont conformes a leur visee, dit ce qu'est la poesie devenue: 'la poesie n'a plus de mots I pour vous dire qu'elle se meurt I la poesie n'en peut plus.' Giguere desespere du sort de la poesie, du monde. Ainsi, constate-t-il, 'Nous avons perdu le cours de l'histoire I nous n'avons plus le sens de la vie I nous avons oublie 56 LETTERS IN CANADA 1988 l'objet dans le tiroir'; mais, poursuit-il, 'quand notre langue sera sans ombre I alors nous reviendrons de tres loin I en habits de lumiere I pour reprendre notre place au solei!.' Persiste done, dans la poesie de Giguere, un espoir lucide, entete, ou 1'amour et 1'emerveillement ont droit de cite. Apres les 'aines,' voyons les poetes qui en sont a leur premier ou deuxieme recueil. Dans l'Espace eclate (Prise de Parole, 87) du poete franco-ontarien Pierre Albert, le 'je' est le vecteur des poemes autour duquel viennent se greffer la parole, l'errance, le Nord. Rien de leger, d'aerien, d'ethere dans cette poesie; celle-d est granitique, se nourrit de memoire, de sang, de larmes, fait corps avec 1'espace d'Albert, qui doit etre entendu dans le sens du tellurisme nord-ontarien. Ce tellurisme, le poete !'assume jusqu'a la negation. Des trois suites de l'Espace eclate, la premiere intitulee 'Un itineraire' est la plus probante. 'De la terre jadis d'un certain Riel' jusqu'a Smooth Rock Falls, lieu de naissance de I'auteur, Albert part, avec lucidite, emotion, rage, desespoir et tendresse, ala recherche de ses origines, de son imaginaire, de sa realite, en fait de tout ce qui a conditionne et conditionne son etre 'historique.' Parcours initiatique, cet itineraire acquiert parfois un poids ontologique. Les deux autres suites, 'L'espace eclate' et 'La faillite du Nord,' nepossedent pas la meme densite, ni le meme souffle; quelques maladresses langagieres et certaines metaphores eculees ressortent alors davantage. Mais la meme volonte farouche de vivre demeure; en cela ces deux parties font echo au pari sur l'avenir que prend !'auteur: 'm'aurait-on dit I que l'avenir ne s'inscrivait point sur le rocher I que je l'aurais ecrit de mes mains sales.' Du nord de l'Ontario, passons aux Etats-Unis avec Niagara (Ies Ecrits des Forges, 57) d'Andrea Moorhead. Apres deux recueils en anglais, cette poete americaine franchit le Rubicon et publie directement en fran<;ais. Une celebration sensuelle du sol, des paysages, de la nature preside a !'elaboration de ces poemes - celebration que bride, parfois, une certaine secheresse verbale plus presente dans les poemes qui recourent a I'ellipse. Outre ces motifs, celui de la neige nous apparait le plus porteur de significations. Ainsi, note-t-elle, 'c'est toujours la neige I ou cette brume legerement I autour de moi.' Aussi, elle intitule un poeme 'Neige extreme': une neige extreme et un feu sans contr6le lequel cherche un del sans tache? La neige provoque le tremblement initial propice a la resurgence des souvenirs et des emotions. Enfin, Niagara, malgre, parfois, une ecriture POESIE 57 un peu convenue, offre un parcours qui, de l'enfance a I'age adulte, balise une existence tendue vers son accomplissement souverain. De tous Ies nouveaux poetes qui se sont manifestes ces dernieres annees, Yves Gosselin m'apparait comme un des plus singuliers. Apres Brescia, miracle de la justice amere en 1987, void qu'il publie Connaissance de la mort (Triptyque, s.p.). Constatons-le: Gosselin ne craint pas les titres audacieux. Neanmoins, sait-il que Connaissance de la mort est le titre d'un recueil que fit paraitre Roger Vitrac, en 1927? Quoi qu'il en soit Gosselin deploie, dans la premiere des deux parties du recueil, un dispositif verbal constitue de courts poemes en prose par lesquels I'agonie et la mort d'une femme interpellent le narrateur. Ecrire sur la mort, c'est, pour ceux et celles qui s'y risquent, tenter de reduire la distance soudainement vertigineuse entre soi et !'autre, abolir le sentiment d'etrangete qui, de fa<;on aigue et violente, s'installe soudain entre deux etres; le poeme nait de cette volonte d'annuler cette distance, mais, aussi, de l'impossibilite d'y arriver. 'Purete des morts. Qui peut se rapprocher d'eux alors et bruler sans disparaitre connaitra le secret,' ecrit Gosselin, mais, precise+ il, 'je n'ignore plus rna defaite.' Celle-d n'en est plus une des lors qu'elle permet, non pas de se resigner ni d'oublier, mais d'atteindre un 'point d'equilibre' entre acceptation et refus, silence et parole. Sans atermoiements ni pathos, Yves Gosselin parvient, dans Connaissance de la mort, a donner un sens plus precis, c'est-a-dire debarrasse de tous les oripeaux de circonstance, ala mort de I'Autre eta sa propre existence. Un vers de Char ('Demeure le celeste, le tue') sert d'epigraphe au premier recueil de Paul Belanger, Projets de Pablo (le Noroit, s. p.). Toutefois, ce n'est pas Char, mais son ami peintre, Pablo Picasso, qui constitue Ia figure centrale du livre de Belanger. Celui-ci propose cinquante-six poemes, numerates et divises en trois parties, qui 's'inspirent ' des toiles du peintre. 'L'espace restreint I ou travaille I'invention lla tension maintenue I d'un langage. I Dans la toile lie peintre et le modele I se regardent I et mes poemes I Pablo te saluent.' Mais cette entreprise scripturaire, cette osmose entre 'le tableau et la peinture aveugle qu'est le poeme' auraient tourne court, n'eut ete les qualites d'ecriture des poemes. Je ne connais pas la peinture; je n'ai pas les tableaux de Picasso sous les yeux. Qu'importe! Je lis les poemes et les mots 'donnent a voir,' selon la fameuse exhortation d'Eluard, autre ami celebre de Picasso. Dans Projets de Pablo, la realite est constamment sur le qui-vive, a £leur de peau, menacee d'irrealite; le rythme, haletant, oppressant; les sensations, les emotions, les impressions, les bruits et fureurs consecutifs a ce siecle sont captes, saisis en pleine course avant que le temps n'accomplisse son travail de sape. Belanger exacerbe les tensions que porte en elle une humanite banale et grandiose, grotesque et tragique. 'Nul n'invente pense+ill hors de l'effondrement'; 'toute cicatrice m'eblouira': Belanger ecrit a partir de cet effondrement, de ces cicatrices pour en arriver a 58 LETTERS IN CANADA 1988 circonscrire 'les bruits du jour I l'apparente continuite I jusqu'a la solitude.' Cette solitude, n'en doutons pas, est aussi la notre. C'est de passion, de 'ville bn1lante/ de fievre, d'abime, de folie, de 'chair delinquante/ de 'maigres instants' et de 'tendresse en emeute' qu'il est question dans Par la peau du cri (les Ecrits des Forges, 49) d'Huguette Bertrand. Les poemes se succedent, dans une suite effrenee de cris, d'imprecation, de revolte et de fureur. Certes, il faut deplorer I'accumulation de poemes qui font un usage immodere de metaphores inoperantes. De plus, pour exaltant qu'il soit d'ecrire a bout portant, la poesie n'y gagne pas toujours. Cependant, nous apprecions cette fureur, ce 'gout d'erosion,' ce mouvement d'ensemble qui tente de faire table rase de toutes les certitudes, cette maniere que possede Huguette Bertrand de rouer I'existence de coups, de lui assener quelques verites. Finalement, Par la peau du cri ne tente pas de rapiecer illusoirement une realite en lambeaux ni une vie menacee d'eclatement: 'je couperai un marceau de mes sommeils I laissant vos cerveaux I de I'autre cote de 1'aventure I et mes yeux dans l'oubli.' Bernard Antoun, apres Felures d'un Temps 1 (Louise Courteau editrice, 1987, 77) que nous n'avions pas eu I'occasion de lire I'an dernier, publie cette annee Felures d'un Temps 2 (Louise Courteau editrice, 126). Antoun nomme 'ce pays comme une trace I comme un solei! qui eclate I dans les images de la pensee.' Ce pays, c'est celui ouest ne !'auteur, le Liban, vecu comme metaphore de la memoire blessee et de I'exil. Dans ce recueiC Antoun redonne a la guerre tout son poids d'horreur, et ce sans une surenchere verbale qui serait aussi risible qu'indecente: Ah laguerre c'est la soeur inhumaine des volcans et des hydres C'est un corbeau megalomane qui se consume enrage en haut de son menhir C'est une chauve-souris qui se cogne et fait saigner et demolir les murs avant de repartir Si la poesie d'Antoun fait corps avec une realite tragique, porteuse de blessures et de deuils, elle n'en celebre pas moins I'amour. Le poete ne renouvelle pas la poesie amoureuse, mais qu'il puisse malgre tout opposer aux 'tragedies du monde' cette 'chose ici-bas qui emane du ventre des origines' prouve peut-etre que ces 'felures/ pour cruelles qu'elles soient, n'auront qu'un temps. Outre les retrospectives et les premiers recueils, nous avons choisi quatre titres pour terminer notre chronique. POESIE 59 Fran<;ois de Corniere crayonne la realite en de petits tableaux ou le temps, les objets, les etres et les mots exercent leur attraction. Tout doit disparaftre (les Ecrits des Forges, 117) a ete publie d'abord au De bleu, en France; les Ecrits des Forges portent maintenant a notre attention ce recueil. Le poete prend acte du quotidien, de ses evidences et de ses tabulations, de ses trompe-I'oeil et de son pouvoir d'erosion. Fine pellicule qui enregistre les tremblements de la realite, la poesie de de Corniere cherche a capter les moments a la fois banals et privilegies qui fa<;onnent une existence. Ainsi, ce poeme intitule 'Limite': au midi d'un jour de fevrier quand Ia lumiere tombe douce sur un jardin sans feuilles on sent pousser du sol comme un desir de tout reprendre - un oiseau sur le cerisier ton corps penche sur Ia haie est -ce aces signes qui bordent le temps comme des pierres delimitent des allees qu'on cherche encore adire cette terrible douceur de vivre avec des mots qui se defont mal La poesie de Fran<;ois de Corniere atteste un des paris les plus exigeants qui soit, celui de la simplicite, qui n'est ni concession a la banalite ni prosai:sme matine de themes au gout du jour que colportent force recueils. Archeologue du quotidien, Fran<;ois de Corniere procede a des fouilles, a des extractions; il met au jour des 'signes,' des 'marques,' des 'traces,' des 'pistes,' des 'indices' et des 'preuves'; illes repertorie patiemment en des poemes qui sont autant de memoires de !'instant, avant que tout disparaisse. A la lecture du nouveau livre de Fran<;ois Charron, Le Monde comme obstacle (les Herbes Rouges, 207), nous avons maintes fois oscille entre la monotonie et une etrange fascination. Cent quatre-vingt-un poemes, divises en six parties, deroulent implacablement leurs vers. Leur ordre syntaxique est, sauf exception, immuable: un sujet, un verbe et un complement, suivi d'une ponctuation forte, en !'occurrence le point. Nous sommes en presence d'une suite de phrases qui circonscrivent ala fois une realite extremement proche et extremement lointaine, comme si !'auteur multipliait les circonvolutions pour confronter ses pensees ala banalite du monde. II y a dans ce livre, un monde expose, mis a nu dans sa banalite meme. Charron sustente sa pensee a meme une surenchere de la vie etale, sans asperite, de !'indistinct, de l'impersonnel. Certes, il recourt au 'je,' mais ce je enonciateur est constamment en butte a une 60 LETTERS IN CANADA 1988 humanite qui a nom 'un visiteur/ 'des vivants/ 'des curieux/ 'un marcheur,' 'un temoin,' 'une personne,' 'un humain/ 'un reveur,' 'des guetteurs,' 'la foule,' etc. Cette tension entre le personnel et l'impersonnel , il n'est peut-etre pas surprenant que Charron essaie de la porter a son point nodal sous forme de phrases interrogatives disseminees ici et la dans le recueil: 'Que signifie ecrire?,' 'Est-ce encore moi qui parle?/ 'Pourquoi portez-vous un nom?,' 'Comment vous appelez-vous?,' 'Ou etes-vous?/ 'Depuis quand suis-je ici?' Ces questions, par leur (in)signifiance meme, mais aussi par les multiples modalites semantiques qu'elles explorent, font que tout est possible et impossible, que 'le sens est intarissable.' '11 s'agit d'aller quelque part I se tramper est notre seule chance I Je prends la legerete de la chance/ conclut Charron. Le monde comme obstacle, pour naitre au monde. Papiers d'epidemie (les Herbes Rouges, 4e trimestre 1987, 103, prix du Gouverneur general 1988) de Marcel Labine comprend trois suites: 'Fraction' (quarante textes), 'Traite du rat' (quatre textes) et 'Epidemie' (quarante textes). Si nous faisions nos choux gras des anagrammes, nous pourrions nous preparer de joyeuses agapes tant il est vrai que les rats et les propos sur l'art abondent dans ce livre. Ainsi, onomastique oblige, dans 'Marcel' trone un 'ra' seyant; dans 'Fractions/ 'traite/ 'quarante' et 'quatre,' 'art' et 'ra' cohabitent. Vive le rat et l'art! eut pu s'exclamer Labine, dans une envolee nelliganienne. Papiers d'epidemie entremele les souvenirs d'enfance, la decomposition des corps et de l'Histoire, le quotidien et l'ecriture. De plus, Labine en appelle a certains ecrivains qui vecurent un rapport conflictuel avec leur corps ou qui cultiverent certains fantasmes s'apparentant aux siens: Rabelais, Rimbaud, Proust, etc. Certains commentateurs etabliront probablement des correlations entre ces papiers d'epidemie et notre fin de millenaire, entre la vie 'qui ronge et contamine' et notre monde qui evolue sur fond de catastrophe ecologique. Pour notre part, tout cet etalement de visceres, de ventres ouverts, de tumeurs ne nous emeut guere, ni, non plus, ces interpretations apocalyptiques. Nous retenons de ces textes en prose la recherche de 1'enfance, la memoire en mouvement (et qui entraine dans son sillage le temps, l'enfance, l'Histoire, etc) et la 'peste heureuse' que sont les livres: '11 en va des livres comme des rats. Ils nous survivront tous. Ils sauront passer les siecles mieux que nous. Ils sauront par leur seul defile parcourir l'espace des villes et de nos tetes a jamais.' De meme, nous sommes sensible a cette volonte avec laquelle !'auteur, malgre 'La vie dans l'egout/ 'Lemur des lamentations' et les 'Debris d'inventaire/ reitere son desir de vivre et d'ecrire: 'Tu referas, le temps d'un frisson le long de ton bras, le parcours qui mene de ta vie a ta table de travail. Tu veilleras a jamais, dans l'infini de leurs recommencements, sur tes papiers de prose et d'epidemie.' POESIE 61 Ainsi, Labine procede a un renversement semantique et milite en faveur d'une epidemie sinon heureuse a toutle moins porteuse d'espoir. Hugues Corriveau prend le pari d'une certaine evidence poetique dans son desir d'Apprendre a vivre (les Herbes Rouges, 93). Pour ce poete, apprendre a vivre, c'est apprendre a aimer. De fait, le corps, le desir et I'amour representent les figures majeures, obsedantes du livre. Celles-ci appellent des motifs subsidiaires, notamment les origines (le pere, la mere), et la dialectique du dedans/dehors. De plus, Corriveau n'a de cesse qu'il veuille etablir, comme dans ses recueils precedents d'ailleurs, des rapports entre 'le fait d'aimer' et le monde. Le premier poeme du recueil marque ce rapport ('juste a te voir et le monde') alors que le dernier fait mention de 'l'offre du monde.' Dans Apprendre avivre, les relations amoureuses evoluent sur la scene d'un monde ou '!'evidence ... d'aimer' tend a 'donner aux choses du monde I !'exactitude de leur forme.' Quatre-vingts poemes decoupes en vers, tous titres, participent a cette entreprise qu'inaugure un vers d'Aragon: 'Le temps d'apprendre a vivre il est deja trop tard.' Corriveau ne cherche-t-il pas a prendre le contre-pied de cet apophtegme, en disant plutot: le temps d'apprendre a aimer, il ne saurait etre trop tard? Drama JERRY WASSERMAN Canadian drama got a big boost in 1988 from the arrival of Blizzard Publishing, an ambitious new Winnipeg press devoted to the publication of Canadian plays. It ended the year with an impressive list of five new plays and hoped at least to match that number in 1989. If novice Blizzard was the publisher of the year, veteran George F. Walker was the playwright. Four of his plays saw print, three of them for the first time. Walker's Nothing Sacred dominated theatre and drama awards in English Canada and made major breakthroughs into the American regional market with productions from Los Angeles to Washington. Other familiar names returning in 1988 included Allan Stratton, Margaret Hollingsworth, and Dennis Foon, all with multiple plays. Newcomers Tomson Highway, Maureen Hunter, and Robert Fothergill gave cause for excitement. Frank Moher's latest play augmented his growing reputation as a major writer. Technically and stylistically not a lot of new ground was broken. The most experimental work was confined to unproduced one-acts (in Hollingsworth's collection and a special drama edition of Quarry). The fourth wall became less and less evident as characters in a number of ...

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