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Reviewed by:
  • Ruling Oneself Out. A Theory of Collective Abdications by Ivan Ermakoff
  • Nicolas Patin
Ivan Ermakoff. - Ruling Oneself Out. A Theory of Collective Abdications. Durham ; Londres, Duke University Press, 2008, 402 pages.

Le livre d’Ivan Ermakoff, sociologue à l’Université de Chicago, est paru en 2008. Il a déjà suscité un débat entre sociologues11. Les historiens, eux, sont restés légèrement en retrait. Et pourtant son livre, issu de sa thèse, les intéresse à plus d’un titre : il dresse une comparaison entre le vote des pleins pouvoirs à Hitler, le 23 mars 1933, et à Pétain, le 10 juillet 1940. Deux assemblées représentatives, à sept ans de distance et dans deux contextes nationaux très différents, se sont suicidées politiquement. Comment l’expliquer ?

Ivan Ermakoff se situe dans le champ de la sociologie politique, très dynamique aux États-Unis. Il bouscule donc les habitudes établies en histoire sur ces deux sujets très épineux. Le centre de sa thèse est simple : les explications habituelles de ces événements ne sont pas suffisantes. Ce qui explique cette abdication, c’est un processus d’une durée relativement courte d’alignement collectif. C’est cet alignement, intervenu quelques jours, voire quelques heures avant les votes, qui intéresse le chercheur américain.

L’enquête, appuyée sur deux corpus dans deux langues étrangères pour l’auteur, impressionne par sa densité. Fondée sur des centaines de sources et de témoignages relatifs aux deux événements, elle lui permet de reconstituer, heure par heure, les micro-décisions qui ont précédé le vote. Mais s’il a visité les centres d’archives, Ermakoff emprunte sa méthode à la théorie des jeux ; il tente de mesurer la validité d’un modèle quantitatif. Son vocabulaire est donc moins celui de l’histoire que celui [End Page 173] de la théorie du choix rationnel, des seuils, des espoirs, des pensées et des calculs des acteurs.

Il n’a pas à démontrer l’importance des abdications constitutionnelles de 1933 et de 1940. Jon Elster recourait déjà à la parabole d’Ulysse et des sirènes : le héros d’Ithaque abdiquait, pour un temps, sa capacité de décision12. Sauf que dans le cas du Reichstag et du Parlement français, il s’agit d’une abdication sans condition, source d’incapacité collective (p. 49). Il s’agit d’un transfert inconditionnel. Les acteurs ont livré de nombreuses explications de ce suicide collectif. Dans la deuxième partie de son ouvrage, Ermakoff s’emploie à critiquer point par point les trois grandes interprétations du « sens commun » (p. 60) qui expliqueraient ces événements : la coercition, l’erreur de calcul et la collusion idéologique.

Si les députés n’ont pas résisté, c’est parce qu’ils savaient que s’opposer leur aurait valu des représailles personnelles : ils étaient menacés. En Allemagne, il s’agit d’une menace directe sur leur liberté, voire leur vie : depuis l’incendie du Reichstag, les membres du parti social-démocrate et du parti communiste étaient pourchassés. La menace n’est pas à prouver. Mais l’argument s’écroule de lui-même : la fraction la plus exposée à ces représailles, le SPD, a voté contre (p. 20). Dans le cas français, la menace brandie par Laval est celle d’une occupation allemande pure et simple. L’idée de la coercition est séduisante, mais elle ne rend pas compte de la grande indétermination qui régnait et de la possibilité toujours ouverte de « l’héroïsme collectif » (p. 70).

S’agissait-il d’une erreur de calcul politique ? Les députés ont-il sous-estimé ce que pouvait être la politique qu’on leur proposait de substituer à la leur ? Dans le cadre allemand, Ermakoff démontre que le comportement des nazis ne laisse aucun doute chez de nombreux députés sur la réalité de ce que l’amendement signifie. Du côté français, le discours de Laval laisse une trace très explicite dans beaucoup...

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