In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le pouvoir des « dames ». Femmes et pratiques seigneuriales en Normandie (1580-1620) by Anaïs Dufour
  • Benoît Grenier
Dufour, Anaïs – Le pouvoir des « dames ». Femmes et pratiques seigneuriales en Normandie (1580-1620), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 174 p.

L’histoire des femmes et l’histoire seigneuriale sont deux domaines qui se croisent très rarement et cela semble tout particulièrement évident dans l’historiographie française. Malgré une grande tradition d’histoire rurale et peut-être en raison d’une certaine frilosité, pour ne pas dire d’un certain retard, de la pratique de l’histoire des femmes et du genre, les historiens français ont rarement abordé de pair ces deux enjeux. C’est pourquoi il faut saluer le travail de l’historienne Anaïs Dufour qui s’est justement proposé d’analyser la pratique seigneuriale des femmes, dans ce cas-ci celles de la Normandie, à une époque précise, le tournant du XVIIe siècle. Ce petit ouvrage (à peine 115 pages de texte) ne va sans doute pas aussi loin qu’on l’aurait souhaité, mais il ouvre néanmoins une voie que d’autres emprunteront certainement. Le livre a été publié aux Presses de l’Université de Rennes dans la collection Mnémosyne, après avoir été récompensé par le prix remis annuellement depuis 2003 par l’association du même nom à un mémoire de master en histoire des femmes et du genre. D’emblée, il faut dire que le livre évite la plupart des défauts associés aux mémoires publiés. L’écriture est belle, le style est clair et les questionnements sont très judicieusement intégrés. Excluant d’entrée de jeu les propriétés seigneuriales des abbayes féminines, l’auteure veut mettre de l’avant « toutes ces femmes qui, à un moment de leur existence, même transitoire, sont dites “dames de...” » (p. 10), question particulièrement intéressante puisque posée dans une région, la Normandie, reconnue pour sa rigueur à l’endroit des femmes. Pour arriver à ces fins, elle a recouru à une source précise (les rôles d’arrière-ban), lui permettant de contourner l’épineux problème du silence des archives relatif aux femmes. Elle a pu, ainsi, mesurer la proportion de femmes en possession de seigneuries à une époque donnée et appréhender, notamment, leur état matrimonial. En croisant cette source principale avec d’autres archives classiques de l’histoire sociale, elle a cherché à comprendre comment ces femmes sont parvenues à la dignité seigneuriale, dans quelle mesure elles en ont exercé toutes les prérogatives et si elles ont elles-mêmes pris part à la gestion des fiefs. Après une introduction très éclairante sur l’enquête, l’ouvrage se décline en cinq chapitres. Une conclusion, aussi brève, clôt l’étude. Le livre est complété par de nombreuses et précieuses « pièces justificatives » transcrites par l’auteure, une heureuse pratique qui est trop rare de ce côté de l’océan. Elle fait aussi bon usage [End Page 252] des tableaux, cartes et, surtout, schémas généalogiques utiles pour comprendre les lignées de femmes en question.

Le premier chapitre intitulé « Tomber de lance en quenouille » veut montrer que, malgré le cadre juridique de la Coutume de Normandie, très rigide en matière d’exclusion des femmes comme propriétaires de fiefs, il est possible pour une femme d’hériter d’une seigneurie. Elle révèle la gamme des itinéraires possibles pour y parvenir (p. 29) et s’intéresse plus spécifiquement à 34 seigneuries normandes tenues par des femmes entre 1580 et 1620, la majorité (20) ayant été acquises par voie successorale. Les femmes ont « avancé sur l’échiquier successoral » par la mort prématurée ou carrément l’absence de frères. Dufour montre aussi que ces fiefs sont parfois détenus par des femmes de manière intergénérationnelle, au hasard des aléas de la démographie et de la surmortalité des nobles en ces temps troubles. Bref, on comprend que la pr...

pdf

Share