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  • L’Esprit du récit ou la chair du devenir: éthique et création littéraire by Anne Mounic
  • Hugues Azérad
L’Esprit du récit ou la chair du devenir: éthique et création littéraire. Par Anne Mounic. (Bibliothèque de littérature générale et comparée, 112.) Paris: Honoré Champion, 2013. 592 pp.

Ce livre important s’inscrit dans la récente mouvance d’études portant sur la fonction éthique de la littérature (il faut entendre ce mot sous son acception large de création, fiction, récit, poésie, etc.) et dans une ligneé de penseurs, linguistes et poètes aussi divers que Fondane, Henry, Levinas, Benveniste, Kierkegaard, Buber, Meschonnic et Vigeé. Restant toujours très près d’un vaste matériau littéraire soigneusement agencé et choisi, Anne Mounic dégage ce qu’elle appelle ‘l’esprit du récit’ — terme que Kertész avait emprunté à Thomas Mann — et qui n’est rien d’autre que la marque transhistorique de l’irréductible liberté qui se fait jour par devers le langage, dans ce travail d’intériorité et de fidélité absolue à l’émotion que l’expression artistique sera à même de faire naître. Brisant là avec les dichotomies langage/réel, impression/expression, expérience/cognition, Mounic retrace une généalogie de cet esprit du récit qui témoigne de la ‘foi expérimentale’ (Proust, cité p. 34) qui motive la pensée poétique. Cette dernière se situe perpétuellement au bord du gouffre mais n’a de cesse qu’elle n’ait dégagé la singularité (sujet impersonnel de la parole poétique) aux prises avec l’Ego et son désir de leurre. Ce choix éthique de fonder l’intériorité dans un réseau de rapports établis librement et au diapason d’un réel réfracté au plus profond de l’intimité de l’artiste se manifeste dans l’infinité des œuvres d’art. Ici, ce seront celles de Shakespeare, Blake, Moore, Graves, Proust, Dickinson, Lawrence, Eliot, Melville, Fondane, Weil, Kafka, Baudelaire, Wordsworth, Vigeé, etc. Des analyses maîtrisées montrent ce choix éthique au travail dans le texte et son agencement narratif, mais surtout dans le rythme qui résiste à l’idéologie de la cadence et de l’instrumentalisation. Toute singularité péniblement excavée trouve son écho dans la communauté des autres textes (selon le principe comparatiste qui anime ce livre) et celle de l’Autre non réductible au même: la communauté tissée autour de la lecture ou de la parole vivante du conte oral. L’auteur le dit clairement: ‘le choix éthique du singulier, non replié sur l’Ego, mais lié rythmiquement en lui-même et au monde, ouvre l’infini’ (p. 128). Le recours à Benveniste est particulièrement enrichissant, en ce que le ‘je’ inscrit dans le discours est l’instance de surrection de la personne ‘sans laquelle il n’est pas de langage possible’ (p. 441). La naissance infiniment réitérée du ‘je’ défini comme ‘événement évanouissant’ (Benveniste, p. 441) est la preuve d’un langage réellement porteur de promesse, de courage éthique. Si ‘la poésie est ce qui rend le langage possible’ (Levinas, cité p. 441), cette possibilité nécessite l’adhésion absolue de l’artiste à ‘l’impression émotive de la réalité’ (Benveniste, p. 427). L’esprit de récit est donc bien ce que Thélot appelle le travail vivant de la poésie, où transcendance et immanence se fondent dans l’incarnation — ou le pathème — d’une parole maintenue ouverte, mais dont la résonance avec la communauté [End Page 280] des singularités ne peut se faire qu’au prix d’une fidélité au silence de l’intériorité. Pour Mounic, s’appuyant sur un corpus puisé dans la création universelle et dans le lignage d’Henry (auquel on aurait pu rajouter Audi, Michel, Thélot), l’esprit du récit incarne le choix éthique — instance de liberté et de création — qui serait bien le choix de la vraie vie dont...

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