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  • Catabase carcérale, amours et refuge onirique:La permanence du sujet Bellaud dans les Sonnets et autres rimes de la prison
  • Jean-François Courouau

Dans une étude très riche, antérieure à la très belle édition des Sonnets et autres rimes de la prison procurée par Sylvan Chabaud (2010), Roberta Capelli identifie les différentes directions dans lesquelles Bellaud de La Bellaudière déploie son œuvre. Le poète, selon elle, développe “una meta-narratività bipolare, proiettata nel mondo esterno reale (como poesia di corrispondenza) o immaginario (como poesia di evasione); oppure ripiegata verso il mondo interno della prigione fisica (come poesia-diario) o metafisica (come poesia del dolore)” (Capelli 2007, 227). Ces différentes dimensions invitent à déterminer les modalités d’inscription du moi auctorial dans le texte poétique, à une époque où son expression paraît régie par les codes de la convention poétique (Courouau 2011). On ne peut parvenir à une idée (relativement) claire sur cette question sans 1) analyser les différentes voies, les stratégies, qu’emprunte le poète pour exprimer le moi, 2) tenter de définir l’articulation entre des stratégies d’écriture si dissemblables qu’elles pouraient laisser croire à une dispersion du sujet individuel confronté à l’expérience-limite de l’enfermement.

1. Le moi autobiographique

La plupart des pièces relatives à l’incarcération semblent le produit d’une certaine immédiateté, difficile à évaluer avec une certitude absolue. L’emploi, quasi systématique, du présent de l’indicatif comme temps de la narration ou du discours est le signe manifeste d’une écriture qui cherche à rendre compte de l’expérience vécue sur l’instant, dans la journée ou, dans le cas d’un temps figé, à l’identique, jour après jour. Ainsi structuré, le recueil emprunte le principe qui l’organise aux écrits non littéraires connus et analysés par les historiens sous le nom d’“écrits du for privé” ou d’“écritures ordinaires.” L’inscription de la date ou, d’un repére chronologique correspondant à un décompte (de jours, [End Page 11] semaines, mois ou années), comme dans les livres de raison, répond à la nécessité organique d’une maîtrise—douloureuse—du temps.

1.1. Le journal intime

Le tableau des privations et des souffrances physiques occupe dans l’œuvre une place importante: absence de nourriture (poèmes 67, 119), de vin (79, 81), (122, Ep. 1, 147), obscurité… Telle qu’elle nous apparaît, la description de la prison que fait Bellaud, malgré la référence à Marot (Capelli 2007, 225-6), plus symbolique que réellement effective sur l’ensemble du texte, se singularise par une précision qui échappe à la convention littéraire pour rendre l’immédiateté et la concrétude du vécu. Mais le recueil-journal de Bellaud, en ce sens, est loin de se présenter comme une succession de tableautins où est retracée la vie quotidienne dans une prison française du XVIe siècle. L’écriture offre au prisonnier la possibilité de consigner son état d’âme, la disposition intérieure dans laquelle il se trouve face à une situation qu’il subit et sur laquelle il n’a aucune prise. Ces sentiments personnels sont sujets à variation, au gré des nouvelles reçues ou attendues, au fil du temps qui passe et dont le prisonnier prend subitement conscience. Nulle linéarité ne domine ici un récit écrit au miroir des jours (de certains jours), nulle téléologie qui mènerait vers une sortie heureuse assurée. Soumis à une succession de sentiments contradictoires, le rédacteur note ses impressions, dans une forme poétisée. Le recueil-journal se rapproche alors d’un genre d’écriture qui n’existe pas encore, le journal intime.

Face à la privation de liberté, il arrive que le sentiment qui prévale soit celui de l’incompréhension, de l’étonnement. C’est ce qu’on peut comprendre dans un sonnet datable d’août 1573, soit après neuf mois de réclusion. Bellaud affirme le caractère impensable, imprévisible, de ce qui lui...

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