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  • Charlotte Sometimes de Penelope Farmer, entre Histoire nationale et histoire individuelle, identité collective et identité personnelle
  • Virginie Douglas (bio)

Les romans pour la jeunesse qui abordent les conflits mondiaux ont connu un essor important en Grande-Bretagne dans la seconde partie du vingtième siècle, notamment à partir des années 1960. Dans The Presence of the Past: Memory, Heritage, and Childhood in Postwar Britain, une étude des livres pour enfants sous l’angle de l’histoire culturelle et sociale, Valerie Krips démontre la coïncidence de cet intérêt accru de la littérature destinée à la jeunesse pour l’Histoire et le patrimoine avec la mise en valeur du passé national liée au heritage movement qui se développe en Grande-Bretagne à partir de la Seconde Guerre mondiale. Cette vague de récits pour enfants évoquant, souvent de façon oblique, les problématiques liées à la guerre donnait une fois de plus la preuve, s’il en était besoin, de la persistance d’une mission éducative de la littérature pour la jeunesse, malgré l’affranchissement apparent que ces livres connaissaient progressivement de la dimension édifiante les caractérisant précédemment.

À travers une étude de cas, celle du roman Charlotte Sometimes de Penelope Farmer,1 publié en 1969, nous entendons nous pencher sur la démarche de tout un courant de romans pour la jeunesse, qui non seulement présentent la guerre du point de vue de ceux qui ne la font pas (point de vue somme toute naturel puisqu’il est nécessairement aussi celui des enfants réels vivant dans une société en guerre), mais font également le choix d’un traitement non réaliste de l’Histoire. Après une brève présentation du roman de Penelope Farmer, nous verrons comment celui-ci s’inscrit dans la tradition du voyage dans le temps pour la jeunesse en Grande-Bretagne. Nous analyserons ensuite la façon dont ce choix générique est le vecteur, [End Page 40] dans le récit, d’un retour vers le passé national pour l’enfant (personnage ou lecteur), lui faisant prendre graduellement conscience de la subjectivité de la perception et des fluctuations de la mémoire individuelle ou collective. En dernier ressort, c’est la notion d’une transmission, du partage d’un héritage et d’une mémoire, avec l’enfant de la diégèse et avec l’enfant-lecteur qui sous-tend le roman de Farmer.

Charlotte Sometimes dans l’œuvre de Penelope Farmer

Ce roman est le troisième volet d’un triptyque ayant pour personnages principaux les sœurs Charlotte et Emma Makepeace.2 Après The Summer Birds et Emma in Winter, publiés respectivement en 1962 et 1966, Charlotte Sometimes, qui paraît en 1969 chez Chatto and Windus, se distingue comme étant le plus complexe et le plus riche de la trilogie, et de loin le plus célèbre de la production de l’auteure tous publics confondus. Le récit, que la critique Margery Fisher définissait lors de sa parution comme « a haunting, convincing story which comes close to being a masterpiece of its kind » (1408), reste considéré comme un classique de la littérature britannique pour la jeunesse de la seconde moitié du vingtième siècle: il a été largement lu dans les années 1970 et 1980, comme en témoigne son adaptation improbable—faite à l’insu de l’auteure—sous forme d’une chanson très populaire du groupe de rock The Cure datant de 1981.3

L’intrigue tourne autour du déplacement temporel réciproque de deux adolescentes de treize ans, Charlotte et Clare. L’action se déroule en automne, juste après la rentrée scolaire, dans la même pension de jeunes filles au début des années 1960 et en 1918. Charlotte, héroïne appartenant à la temporalité primaire, qui se situe vraisemblablement en 1963,4 se retrouve un jour sur deux à la place de Clare, une quarantaine d’années plus tôt, sans que quiconque s’aperçoive de l’échange, sauf Emily, la petite s...

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