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  • Le chartisme. Aux origines du mouvement ouvrier britannique (1838-1858) by Malcolm Chase
  • François Jarrige
Malcolm Chase. - Le chartisme. Aux origines du mouvement ouvrier britannique (1838-1858). Traduit de l’anglais par Laurent Bury. Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, 486 pages.

L’histoire du chartisme fait l’objet d’un traitement ambigu en France. Ce vaste mouvement réformateur britannique qui milita durant une vingtaine d’années, entre 1838 et 1858, pour l’obtention du suffrage universel et la démocratisation du champ politique, a été étudié précocement par Édouard Dolléans au début du XXe siècle avant de sombrer quelque peu dans l’oubli de ce côté-ci de la Manche. Au Royaume-Uni, à l’inverse, il s’agit d’un moment majeur de l’histoire politique et sociale contemporaine, qui suscite des débats et publications pléthoriques et des commémorations récurrentes. Dans la masse d’écrits consacrés à cet épisode, l’ouvrage de Malcolm Chase, professeur à l’université de Leeds, fera date comme la synthèse la plus aboutie et la plus complète, sa traduction en français à l’initiative de Fabrice Bensimon mérite d’être saluée.

L’ouvrage propose une histoire totale et compréhensive du chartisme dans toute son extension diachronique et spatiale. Construit en 11 chapitres rigoureusement chronologiques, il suit l’évolution heurtée de ce « premier et sans doute plus grand mouvement politique de masse » (p. 25), avec ses flux et ses reflux, ses enthousiasmes, ses manifestations et pétitions monstres, mais aussi ses échecs et ses luttes fratricides. Le mouvement naît en 1838, aux lendemains de la réforme électorale décevante de 1832. Il connaît un succès rapide qui tient aussi bien au contexte de crise sociale et économique que traverse le pays qu’à l’efficacité de ses dirigeants et à la puissance symbolique de la « Charte du Peuple », qui réactive d’anciennes revendications radicales et enflamme les imaginations populaires. Publiée et présentée en 1838 lors d’un meeting gigantesque, la Charte du Peuple porte six revendications politiques (suffrage universel masculin, vote à bulletin secret, abolition du cens d’éligibilité, élections annuelles, indemnité parlementaire, redécoupage des circonscriptions). En dépit des 1 250 000 signatures réunies – chiffre considérable pour l’époque – le Parlement la repousse en 1839. Loin de mettre fin au mouvement, ce premier échec le stimule et pousse les dirigeants chartistes à accentuer leurs efforts et à diversifier leurs stratégies d’action. Ils créent aussi une presse dynamique : The Northern Star de Fergus O’Connor, notamment, atteint les 40 000 exemplaires hebdomadaires. Le chartisme s’implante dans le pays grâce aux nombreux orateurs itinérants et favorise la politisation des masses. Le « printemps 1839 vit un remarquable épanouissement de la conscience politique populaire », écrit ainsi Malcolm Chase (p. 97).

L’échec de la première pétition conduit à une évolution du mouvement et à d’intenses débats entre les partisans de la « force morale », qui repoussent toute violence, et ceux qui en appellent à « la force physique » pour faire entendre leurs voix. Le vaste soulèvement de Newport, au sud du pays de Galles, en novembre 1839, au cours duquel 22 chartistes sont tués par l’armée, marque l’apogée des tentatives insurrectionnelles qui effraient tant les élites du pays. La dépression de 1841-1842 provoque aussi de nombreuses grèves ouvrières dans lesquelles les chartistes sont impliqués, notamment dans les régions textiles des Midlands, du Lancashire et du Yorkshire. Plus encore qu’en France, où le mouvement pour la Réforme électorale commence à s’éveiller, le chartisme fut un mouvement social et politique de masse soutenu par les travailleurs, qui voyaient dans la réforme du Parlement la solution [End Page 129] à la question sociale. Dans un pays déjà entré de plain-pied dans l’ère industrielle, la sociologie du chartisme en fait un bon reflet de la diversité des mondes du travail britanniques. Si les travailleurs agricoles sont peu présents, on trouve en revanche de nombreux métiers artisanaux encore peu touchés par la...

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