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  • La muerte de un burócrata de Tomás Gutiérrez Alea:Entre révolution et hommage cinématographique
  • Nicolas Balutet

La muerte de un burócrata (1966) du cinéaste cubain Tomás Gutiérrez Alea1 débute par un événement somme toute banal. Pour toucher sa pension de retraite, une vieille dame apprend qu’elle a besoin du carnet de travail de son mari qui vient juste d’être enterré avec ce document. Le neveu de la famille, Juanchín, décide donc de récupérer le livret en question mais ne sait pas encore qu’il va devoir affronter les pires obstacles créés par la bureaucratie de son pays.

Le point de départ du film provient d’une anecdote personnelle. Tomás Gutiérrez Alea avait entendu une histoire similaire qui, contrairement aux personnages de La muerte de un burócrata, s’était soldée par une rapide solution (Larraz 171). Le cinéaste se plut à rappeler également que le film devait beaucoup à la vengeance personnelle contre une bureaucratie à laquelle il dut se confronter à un moment où “[il] commençai[t] à travailler à un film qui demandait une longue préparation [et où il avait] en même temps à résoudre toute une série de petits problèmes [End Page 345] pratiques, allant de la réparation de [s]on réfrigérateur à la nécessité de changer les pneus de [s]a voiture” (Firk 24). Entraîné dans un univers kafkaïen où, à l’instar de Juanchín, il fut ballotté de service en service et se trouva confronté à des employés aussi inefficaces qu’apparemment débordés par le travail, Gutiérrez Alea se mit à ressentir des pulsions meurtrières et un désir tenace de faire justice de ses propres mains. Le réalisateur décida donc de canaliser sa violence réprimée dans un film qui fut, pour lui, une véritable psychothérapie. Il continua ses démarches en affrontant toujours les mêmes bureaucrates qui lui faisaient perdre un temps précieux mais il annotait désormais dans un petit carnet tous les détails et les situations qui lui seraient utiles lors de l’élaboration de son scénario cathartique (Oroz 92–94).

Gutiérrez Alea reprit le thème de la bureaucratie trente ans plus tard dans ce qui fut son dernier film, Guantanamera. Si La muerte de un burócrata est un film ouvertement comique et parodique, Guantanamera est plus réaliste mais le thème reste le même. Guantanamera conte le transport du cadavre de Yoyita qui, après avoir retrouvé son ancien amant Cándido, meurt à Guantanamo et doit être rapatrié à La Havane à l’autre bout de l’île. Le problème réside dans le fait que, dans chaque province, le cadavre doit changer de voiture funéraire car aucune compagnie ne dispose de suffisamment de carburant pour s’occuper seule du trajet dans son entier. Il semble que, à trente ans de distance, ces deux films se répondent sur un ton différent. On notera d’ailleurs que si La muerte de un burócrata s’ouvre par un éloge funèbre, un autre clôt Guantanamera.

La muerte de un burócrata se veut un apport à la Révolution cubaine dans le sens où Gutiérrez Alea souhaitait que le dogmatisme bureaucratique cessât d’infecter l’esprit libertaire du début de la Révolution (Manet 11). Il est d’ailleurs loisible de se poser la question des relations entre Tomás Gutiérrez Alea et la Révolution. Etait-il un apparatchik du régime? Dès 1959 (Loi du 24 mars), il participa en effet à la fondation de l’Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos (I.C.A.I.C.) qui, s’il bénéficia d’une grande autonomie du moins jusqu’aux années 70 (Ricciarelli, 99), n’en resta pas moins au service d’une idéologie. Bien que Gutiérrez Alea n’ait pas adhéré au Parti Communiste Cubain qui fut créé en 1965, son ami le réalisateur espagnol Carlos Saura souligne combien il...

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