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  • Une intention de salut: essais sur la poésie française moderne by John Naughton
  • Patrick Labarthe
Une intention de salut: essais sur la poésie française moderne. Par John Naughton. (Chiasma, 29). Amsterdam: Rodopi, 2012. 236 pp.

L’ouvrage de John Naughton est une interrogation sur l’expérience de la charité dans la poésie moderne, de Baudelaire et Rimbaud à Des Forêts et Bonnefoy par le relais de Claudel. Ce qui frappe d’emblée, c’est l’intérêt porté à une série de tensions critiques: tension chez Baudelaire entre la cruauté du regard et une sympathie pour les exilés; chez Rimbaud, entre caricature et pitié, entre faiblesse et exigence de ‘dégagement’ dans la relation à Verlaine; chez Claudel, entre la chair et l’esprit; dialectique chez Des Forêts entre la fiction perçue comme le champ de la fraude, et la vérité ontologique du rien; ‘guerre’ chez Bonnefoy entre le rêve et la ‘finitude’. L’attention que le critique sait porter à cette série de dialectiques constitue l’un des mérites les plus stimulants de ce livre. Pareilles tensions sont inséparables d’une ‘intention de salut’, dont l’auteur décrit les modalités. D’abord chez Baudelaire, où le champ de l’irrémédiable a dévoré tout recours autre qu’un lyrisme ouvert aux dissonances de la ville. Chez Rimbaud, ce serait plutôt la visée d’une nouvelle Genèse, ou d’un messianisme moins religieux que poétique. Les pages sur Partage de midi montrent bien la fonction thérapeutique de l’écriture théâtrale, appliquée à récrire de façon critique le Tristan de Wagner. Essai de réparation encore que ce mouvement qui porte Des Forêts à retourner les modes de captation propres au langage en l’écoute d’une musique: voix enfantines du Bavard, voix de l’enfant dont Ostinato s’efforce de recréer la mémoire, voix des biens simples de l’élémentaire. Dans cette conversion du doute en un fragile espoir, c’est bien d’une note obstinée qu’il s’agit, d’une voix inséparable d’une mémoire: mémoire des forfaits collectifs, des fraudes propres à l’emploi des mots, des rapts foudroyants de la vie, dont l’écriture se fait un [End Page 137] devoir de répéter l’effroi, comme pour en convertir inlassablement les signes. Le critique retrace enfin quelques aspects fondamentaux de la poétique de Bonnefoy: tentation mystique aussitôt récusée, intensité du rapport aux grandes figures féminines de Shakespeare, valorisation de la figure de l’enfant, guérison, dans les mots du fils, des blessures du père. Comme Des Forêts, Bonnefoy scelle ici l’accord de la poésie et de l’éthique, faisant de ce carrefour le lieu où se cherche une sorte de transcendance de l’immanence. Quelques menues réserves cependant: manque une synthèse historiquement plus dense sur la question de ‘la mort de Dieu’. L’interprétation des ‘Tentations’ ou du ‘Gâteau’ de Baudelaire serait à discuter. Quant à Une saison en enfer, le débat spirituel n’est-il pas inséparable de la question chronologique? Si ce ‘carnet de damné’ vient après Les Illuminations, alors est autorisée une lecture téléologique de l’œuvre. Si Les Illuminations chevauchent Une saison, il est difficile d’interpréter l’œuvre dans le sens d’un congé opposé à l’entreprise de ‘Voyance’.

Patrick Labarthe
Université de Zurich
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