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  • Réflexions renouvelées sur la rhétorique du projetIntroduction
  • Jennifer Merchant (bio)

« C'est quoi, votre projet ? » Qui n'a pas été sommé de répondre à cette question au moins une fois, sinon à de multiples reprises dans sa vie ? Projet professionnel, projet de recherche, projet de vacances, projet de remise en forme, projet d'aménagement du territoire, projet parental, et sans doute le plus effrayant, projet de vie. Comme l'écrit Marie-Christine Jaillet dans un article passionnant, ce terme, devenu polysémique, a perdu « sinon tout sens, du moins un contenu précis »1.

Se référer ainsi et de façon récurrente au concept de projet dans tous les domaines publics et privés de la vie humaine pourrait être révélateur d'un phénomène social néfaste. Dans le domaine public, le projet découlerait directement de la décentralisation et viendrait remplacer une politique publique privée d'un contenu précis. Le projet s'imposerait comme une nouvelle obligation sociale car « avoir un projet suppose d'avoir la capacité de se projeter dans l'avenir et de formuler un ou des objectifs à atteindre, car le projet n'est pas le rêve, il engage à sa réalisation »2. Ainsi, la rhétorique omniprésente du projet serait le reflet par excellence de l'individualisation caractéristique de nos démocraties modernes, et dont la mise en œuvre s'inscrit fortement dans une méthodologie managériale venue tout droit de l'entreprise et de sa gestion. Or, nul doute que tous les projets ne se valent pas, et que tous les individus n'ont pas la même [End Page 15] potentialité à réaliser leur projet (le même « capital social », pour reprendre le terme de Bourdieu), d'où le renforcement des inégalités sociales3.

Cette vision de la rhétorique du projet mérite certainement quelques ajustements. Nous pouvons, par exemple, examiner le recours systématique au concept de « projet » à travers un autre prisme, celui plus fragmenté et complexe et qui n'implique pas forcément une contrainte, une obligation. C'est le parti-pris de l'ensemble des articles de ce dossier. Une rhétorique du projet peut, par exemple, ne pas comporter de contrainte sociale, ou peut être tout simplement en contradiction avec elle-même. Ici, l'on demande aux jeunes, dès les années de lycée, de commencer à « construire leur projet professionnel » tout en exigeant de la part des salariés et autres actifs de plus en plus de flexibilité, de remise en cause, de multiplication de stages, de formation continue. Là, le projet parental, comme nous le démontre Karène Parizer-Krief, constitue d'abord et avant tout un critère d'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) et à encadrer le destiné des embryons. D'ailleurs, l'expression de « projet parental » est propre à la France, aucune traduction signifiant la même chose n'existe dans d'autres pays qui pratiquent l'AMP. En effet, nul n'est contraint d'avoir des enfants, comme en témoignent de nombreuses associations et forums internationaux très dynamiques, à l'image de Childfree.net (http://www.childfree.net/). De même, nul n'est contraint de suivre un projet de programme politique proposé par des groupes relativement nouveaux en France et spécialement créés pour informer et guider les candidats et autres personnages politiques, comme Mathieu Laurent nous le démontre dans son article sur les « think tanks » à la française.

Enfin, et comme nous le montre l'article de Jeanne Chauvel (sur le projet du Grand Paris), la demande de projet ne contribue pas forcément à diluer le pouvoir de ceux et celles qui doivent décider et agir, mais clarifie au contraire la définition et le rôle de chaque acteur politique par rapport au projet en devenir. La rhétorique du projet devient ainsi à la fois un point de départ mais aussi un moyen par lequel le projet peut être remis en cause, modifié, amélioré, volet important et analysé avec précision par Renaud Epstein dans son article sur...

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