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  • La critique de la critique de la conscience Ethos et logos :la parole de Roussseau dans l’œuvre de Jean Starobinski1
  • Martin Rueff (bio)

Herméneutique et phénoménologie

Si les glissements subtils qui relient Accuser et séduire à La Transparence et l’obstacle et permettent de rapprocher ces deux moments de la compréhension de l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau pour finir par en déplacer le site, ne concernaient que l’histoire intérieure d’un exégète si profondément et si intimement attaché à une œuvre qu’on pourrait imaginer Rousseau lui adresser le compliment que formulait Saint Jérôme à un de ses correspondants : un lecteur m’attendait et c’était vous, ils offriraient un chapitre, décisif, certes, mais de portée limitée, interne à l’aventure d’un critique immense qui restera comme l’un des rares à avoir signé sous la forme de l’essai une œuvre critique2, transformant l’herméneutique en un véritable art de comprendre les [End Page 796] textes, les arts et les institutions des hommes3. Serait-ce si peu ? Non, mais on ne rendrait pas justice à l’événement que constitue cette publication attendue et longuement préparée4, et dont il faut, fût-ce par provision, circonscrire le lieu.

Car ce qui s’est passé entre La Transparence et l’obstacle (1957) et Accuser et séduire (2012) n’est peut-être pas étranger aux forces qui agitent et partagent le rousseauisme contemporain (celui des philosophes comme celui des critiques littéraires) et au-delà, les théoriciens de l’herméneutique. Rousseau est de ces auteurs qui imposent de comprendre ce que comprendre veut dire (et ce que se comprendre veut dire) quand nous essayons de le comprendre – et peut-être, même de l’éditer5. Or de deux choses l’une : ou bien nous voyons en Rousseau un philosophe de l’existence pure, conçue comme présence à soi, comme accès à un en-deçà du sujet, qu’il s’agisse de voir en lui le précurseur d’un individualisme sans repère, l’inventeur d’un cogito sensible ou le libérateur du sentiment de l’existence6 quand il n’est pas le philosophe de l’âme7, ou bien nous voyons en lui l’inventeur d’un nouage singulier entre le sujet et le langage qu’il tient sur lui et qu’on tient sur lui, nouage dont littérature pourrait être un des noms. C’est la thèse de Lévi-Strauss pour qui la révolution rousseauiste tiendrait en cette découverte pronominale : un il précède mes représentations, un il habite mon moi et m’en sépare ; la première personne du singulier est seconde, elle est un effet de système, un jeu des rapports, une position, [End Page 797] une différence. Cette découverte pronominale de l’anthropologie inscrirait Rousseau en rupture, et non en continuité, par rapport à la découverte cartésienne8. Comprendre est-ce toujours rapporter une conscience à une conscience en traversant la couche de signes par lesquels une conscience se donne (transparence et obstacle) ? Ou est-ce que ce que comprendre, c’est s’arrêter aux signes et séjourner parmi eux pour montrer comment un mode de subjectivation ne peut manquer d’être solidaire des effets que le langage produit au sein des significations ? En d’autres termes, quel est le poids de la parole dans la compréhension de soi et du monde ? C’est cette question qui départage Georges Poulet et Jean Starobinski. Dans La Conscience critique, le premier veut que le critique traverse la couche de l’œuvre pour atteindre à une fusion des horizons de conscience ; dans La Relation critique, Jean Starobinski veut que le critique sache mieux s’arrêter à la matérialité de l’écriture – à ses différentes strates eût dit Wolfgang Iser. Aussi est-ce bien à deux articulations différentes de la phénoménologie et de la critique que nous invitent ces deux maîtres de l’école de Genève. La critique de Jean Starobinski fait...

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