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  • Penser les crises du logement en Europe au XXe siècle
  • Annie Fourcaut and Danièle Voldman

L’éternel retour de la crise du logement

En février 2013, dans son dix-huitième rapport annuel, la Fondation Abbé Pierre quantifie la crise du logement en France au début du XXIe siècle en comptabilisant 3,6 millions de personnes non ou très mal logées et plus de 5 millions en situation de fragilité à court ou moyen terme par rapport à leur logement1. Selon ce rapport, ces chiffres recouvrent des réalités diverses qui vont de l’absence de domicile à celle d’un logement personnel, des mauvaises conditions d’habitat aux difficultés rencontrées pour se maintenir dans un logement pérenne. La Fondation Abbé Pierre cherche à mettre en lumière cette diversité dans un état des lieux chiffré. Si de nombreuses situations demeurent encore trop méconnues faute de données existantes ou suffisamment fiables (estimation des populations vivant en « squats », en bidonvilles ou en camping à l’année, question de la mobilité et des trajectoires), elle tient à souligner certains progrès de la statistique publique : afin d’améliorer l’état de la connaissance sur les problèmes de logement, le Conseil national de l’information statistique (cnis) a mis en place un groupe de travail en juillet 2010 avec les services producteurs de données, des associations, des acteurs et des chercheurs concernés ; ses résultats ont été publiés dans son rapport de juillet 2011 sur Le mal-logement. La loi du 5 mars 2007, dite loi DALO, instituant le droit au logement opposable et fixant à l’État une obligation de résultats et non plus seulement de moyens, souligne que, malgré les lois Quilliot (1982) puis Besson (1990), qui visaient déjà cet idéal, le droit de tous à un logement décent se révèle être un objectif hors de portée.

Cette situation se retrouve à travers toute l’Europe. Partout la précarité subsiste, voire s’accroît. Des millions d’Européens campent encore aux « marges du palais »2, alors que le logement a été érigé en problème politique majeur [End Page 3] après la Seconde Guerre mondiale, comme en témoigne l’effort séculaire de construction statistique d’une notion pour quantifier la question, depuis les travaux du Bureau international du travail (BIT) jusqu’à ceux de l’Union européenne. Les deux articles proposés dans la première partie du présent numéro mettent l’accent sur les catégories et les statistiques mises en place pour analyser le problème du logement.

À la fin des années 1940, la notion de crise du logement, apparue sous des vocables divers selon les pays au cours du XIXe siècle, est ainsi reformulée en des termes nouveaux un peu partout en Europe. Dans les discours politiques, médiatiques, professionnels ou savants comme dans celui des associations d’usagers, la question du logement est érigée en problème politique de première importance. Elle le reste, avec des intermittences, jusqu’à nos jours, où elle est reformulée en termes qualitatifs : le mal-logement. Peut-on affirmer qu’il s’agit d’une crise permanente tant en France qu’en Europe ? Est-ce seulement un phénomène qui est objectivé ou instrumentalisé parce que le logement est à la fois un besoin, une aspiration et un problème politique et social ? La crise est, de fait, un mot valise qui recouvre des situations très différentes selon le moment ou le pays. Si on accepte cependant de l’utiliser, avant même de savoir ce qu’il recouvre précisément, on repère facilement les moments qualifiés ainsi, qui permettent une coupe transversale dans l’histoire des sociétés européennes.

Une question sans histoire ?

Pourtant, bien qu’elle soit reconnue comme un fait social massif et récurrent, un miroir et un révélateur des inégalités sociales inscrites dans les paysages urbains avec leurs bidonvilles et leurs quartiers déshérités, cette crise ne semble pas avoir d...

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